ULM et construction amateur
|Hier, une de mes contacts Facebook a partagé une présentation de Sabrina Gonzalez Pasterski, doctorante en physique à laquelle Harvard a collé l’étiquette de “nouvelle Einstein”. Cet article explique que :
À seulement 14 ans, elle conçoit et fabrique un avion monomoteur pour son père, de ses propres mains.
Évidemment, c’est faux : elle n’a pas conçu son Zodiac CH 601 XL, dont le dessin est l’œuvre de Chris Heintz. Elle ne l’a également pas vraiment fabriqué, puisqu’elle a acheté un kit construit et vendu par Zenith. Elle l’a plutôt assemblé même si, comme énormément de constructeurs amateurs, elle l’a adapté à sa sauce çà et là et a dû fabriquer certains éléments elle-même. Cette précision ne retire rien à ses mérites : il n’y a pas des masses d’adolescents capables d’assembler un kit, puis de le faire voler, en obtenant une dérogation de la FAA pour faire leur premier solo sur l’avion qu’ils ont eux-mêmes assemblé et alors que celui-ci est encore en phase de prototype !
Les réactions à cette précision m’ont cependant fait réaliser un truc : pour beaucoup de gens, la notion de “avion de construction amateur” n’est pas du tout claire — en particulier, la distinction entre ULM, avion de construction amateur et avion “ordinaire”.
Ultra-léger motorisé
Commençons par l’ULM. Comme son nom l’indique, il est ultra-léger et il a un moteur. C’est tout ? Non, bien sûr. Il y a différentes classes d’ULM ; les plus connues sont les pendulaires, sortes de gros deltaplanes sous lesquels est accroché un chariot motorisé, et les multi-axes, qui ressemblent à de petits avions. Dans tous les cas, la masse maximale est de 450 kg (éventuellement majorée pour les hydravions et les parachutes de cellule) et la vitesse de décrochage minimale est inférieure à 65 km/h.
C’est tout ? Presque. La puissance est également limitée à 100 ch. Mais l’idée, c’est que le danger en cas d’accident est lié à l’énergie cinétique et que celle-ci dépend de la masse et de la vitesse : un truc léger qui s’écrase lentement ne fera pas de gros dégâts. Du coup, les ULM profitent d’une grande liberté de construction et d’entretien, permettant de faire voler à peu près n’importe quoi.
Le truc important, c’est qu’ils dépendent d’un régime déclaratif : le constructeur et l’utilisateur se contentent d’informer l’administration et prennent la responsabilité de la sécurité de leur appareil et de son utilisation. Mais si quelqu’un fait un appareil de 450 kg, 100 ch, décrochant à 65 km/h, avec les performances d’un Rafale, tant mieux pour lui, rien ne l’en empêche (sauf bien sûr les lois de la physique)1.
Avion
Un avion, lui, n’a pas de limite a priori. Les plus lourds font 640… tonnes !, les plus puissants ont des poussées de l’ordre de 140 tonnes (ça se convertit pas directement en chevaux, mais c’est beaucoup plus qu’un ULM), les plus rapides dépassaient allègrement Mach 3 (environ 3200 km/h). Corollaire : il peut faire d’énormes dégâts en cas d’accident. Il est donc soumis à un processus de certification : les autorités vérifient sa conception et sa construction pour s’assurer qu’il répond aux normes de sécurité voulues.
Celles-ci varient évidemment selon le type d’appareil : on ne va pas appliquer les mêmes exigences à un biplace de 750 kg qui va faire un tour sur la côte à 180 km/h et à un avion de ligne de 500 places et 300 tonnes qui traverse la planète à 950 km/h. Il y a donc des classes avec des normes croissantes. Selon la classe de son appareil, le constructeur va donc affronter un contrôle plus ou moins complexe et coûteux, installer des équipements plus ou moins complexes et coûteux, et l’utilisateur va devoir respecter des procédures d’utilisation elles-mêmes plus ou moins complexes et coûteuses.
Cas emblématique : un utilisateur d’ULM utilise le carburant qu’il veut, il est seul responsable de s’assurer que ce carburant est sûr. Un utilisateur d’avion ne peut utiliser que du carburant certifié pour l’aviation et dûment homologué par le fabricant du moteur2, ce qui réduit fortement le risque de panne. Ça ne paraît pas très important ? Pensez qu’un avion avec un Rotax 100 ch doit utiliser de l’UL91 (ou, s’il n’en trouve pas, de la 100LL), qui coûte autour de 2 € le litre, alors que le même moteur monté dans un ULM peut fonctionner au sans-plomb 98 de voiture pour moins d’1,5 € le litre — initialement, il était conçu pour !
Le constructeur ?
Vous avez noté un truc : là-dedans, j’ai dit plusieurs fois “constructeur”, mais je ne l’ai jamais défini.
Normal : quelle que soit la classe de l’appareil, il n’y a a priori pas de différence selon “qui construit”. Ils peuvent tous être construits en série par une industrie, créés à la main par un amateur, ou assemblés par un particulier à partir d’un kit plus ou moins pré-fabriqué par un industriel.
La différence, c’est évidemment au niveau administratif : un particulier qui créerait un avion de A à Z aurait plus de difficultés à le faire certifier qu’un industriel embauchant des ingénieurs spécialisés et disposants de moyens adaptés. Du coup, les bricoleurs amateurs d’expériences originales ont tout intérêt à se cantonner aux limites des ULM. Mais lorsqu’un ingénieur a déjà fait certifier un appareil, rien n’empêche un particulier de construire un exemplaire conforme aux plans, qui sera dès lors logiquement un avion certifié (une fois la conformité vérifiée par l’administration, bien entendu).
Du coup, de nombreux avions ont été construits par des particuliers ; dans les années 60, il y a même eu une large vogue d’appareils vendus en liasses de plans, laissant le soin au charpentier-tisseur-motoriste de faire une construction conforme, ou bien en kits avec des bois coupés à la bonne longueur, de la toile, des accessoires qu’il n’y avait plus qu’à assembler correctement. Nombre de Jodel, de Piel ou de Fournier sont nés ainsi, dans le garage d’un passionné. En France, ils sont faciles à reconnaître : leur immatriculation commence par F‑P (d’où le surnom générique “Fox Papa” pour les constructions amateur).
Réciproquement, les ULM étant moins coûteux et plus souples à faire voler, des industriels en fabriquent en série pour ceux qui ne veulent pas se compliquer la vie.
Résumons
Il y a donc :
- des ULM de construction amateur
- conçus et fabriqués par leur constructeur,
- conçus par un autre et fabriqués par leur constructeur (achat de plans),
- conçus et pré-fabriqués par un autre et assemblés par leur constructeur, éventuellement avec des personnalisations (appareil vendu en kit),
- et des ULM de construction industrielle, vendus clefs en main.
Et il y a :
- des avions de construction amateur
- conçus, fabriqués et certifiés par leur constructeur,
- conçus et certifiés par un autre et fabriqués conformément par leur constructeur, éventuellement avec des personnalisations que leur constructeur aura elles aussi fait certifier,
- conçus, certifiés et pré-fabriqués par un autre et assemblés par leur constructeur, éventuellement avec des personnalisations que leur constructeur aura elles aussi fait certifier (c’est le cas du Zodiac de Sabrina Gonzalez Pasterski),
- et des avions de construction industrielle, vendus clefs en main.
C’est donc en fait assez simple, mais les règles peuvent varier selon les situations.
Par exemple, le concepteur d’un ULM réussi peut être amené à vendre les plans, puis passer à la production en série, puis développer son modèle et le faire certifier pour permettre à ses clients de voyager avec (les ULM ne sont pas toujours bienvenus dans certains pays et, avec 450 kg maximum, il faut souvent choisir entre passager et carburant).
À l’inverse, le constructeur d’un avion suffisamment léger peut, s’il souhaite utiliser un carburant moins coûteux ou faire des modifications de son cru sans avoir à les faire certifier, le déclarer comme ULM.
Certains appareils peuvent donc coexister à la fois comme ULM et comme avions légers ; c’est par exemple le cas du fort sympathique Dynamic WT9, qui est conçu pour décoller jusqu’à 600 kg et peut donc être certifié dans la catégorie LSA, mais qui peut également être vendu comme ULM. La principale différence est qu’alors, avec deux occupants de 80 kg, il n’a droit qu’à 45 litres de carburant, assurant 1 h 30 de vol avec la sécurité réglementaire, alors que la version certifiée peut avec les mêmes personnes décoller avec les pleins et voler 6 h.3
- Notons tout de même qu’il n’aura pas le droit d’utiliser les performances de son Rafale ULM : d’après la réglementation, la vitesse de vol en basse couche est limitée et les ULM ne peuvent pas voler aux instruments ; ils sont donc interdits en haute altitude, comme tous les appareils limités au vol à vue.
- Je simplifie un peu : dans certains cas, notamment en construction amateur, certains appareils peuvent être certifiés pour une utilisation au “mogas” (motor gasoline).
- La vitesse de décrochage est logiquement elle aussi différente : si un appareil décroche à 65 km/h à 450 kg, il ne descendra pas sous les 75 à 80 km/h une fois chargé à 600 kg.