Dealer de presse
|Les dealers ont un problème : à la base, la plupart des gens n’ont pour leur produit, au mieux, qu’une curiosité polie — et beaucoup y sont franchement hostiles. Les dealers ont donc un besoin : arriver à rendre les gens accros à leurs produits.
Pour ce faire, tous les polars le disent, ils ont une méthode bien rodée : filer les premières doses gratuitement. Et que les premières doses soient de première qualité.
Ainsi, le quidam vaguement curieux goûte, monte, plane très très haut, et redescend convaincu que finalement, ça vaut le coup. Il va acheter la dose suivante, et plus il sera accro, plus il achètera et plus le dealer pourra couper les doses pour augmenter son bénéfice — récupérant ainsi bien plus que le coût du petit don initial. Au bout de quelques mois, le dealer fourguera 90 % de talc, mais son client continuera à acheter, ne serait-ce que pour calmer ses tremblements, ses sueurs froides et ses obsessions.
Notez que je prends les dealers comme exemple parce que je suis en train de me faire la dernière saison d’Orange is the new black, mais ça marche avec plein de choses. Par exemple, les vendeurs de saucisson de votre supermarché ne font pas goûter le Monoprix plein de gras à 3 € les 500 g, et le concessionnaire automobile ne vous fait pas tester le modèle d’entrée de gamme avec les vitres à manivelle et le moteur de mobylette.
Il existe pourtant une industrie qui fait exactement le contraire.
C’est la réflexion que je me suis faite ce matin en regardant l’actualité en ligne. C’est simple : tous les articles auxquels j’ai eu accès gratuitement étaient des resucées de dépêches. Réciproquement, tous les articles avec de vrais auteurs et de vraies ouvertures étaient bloqués au bout de quelques paragraphes par un “hey mec, tu veux lire la suite ? Abonne-toi c’est par là”.
C’est le choix du Monde en particulier, mais aussi d’autres sites (dont feu Focus numérique) : filer gratuitement les brèves, les copier-coller de l’AFP, bref les trucs sans plus-value quelconque qu’on peut lire n’importe où, et bloquer l’accès aux articles fouillés, aux enquêtes, aux contenus de qualité.
C’est l’équivalent d’un dealer qui te fourguerait gratuitement une dose garantie 100 % pur talc en te disant “ouais, j’ai aussi de la bonne, aboule l’oseille et tu vas voir ce que tu vas voir”. Quelque part, ça me laisse rêveur de voir que des gens qui ont fait des études, qui sont censés être experts, qui ont longuement réfléchi à leur modèle économique et tout, n’arrivent pas à comprendre un truc maîtrisé par n’importe quel gamin de 15 ans des cités de St-Denis.
Et le pire, c’est qu’ils s’étonnent de n’attirer que fort peu d’abonnés.