Un mois avec Gutenberg
|En décembre dernier arrivait la version 5 de WordPress.
En soit, les mises à jour, on s’en fout un peu, d’habitude : on les applique pour profiter des dernières corrections de bugs et de failles, et pis c’est tout.
Mais celle-ci s’accompagnait d’une refonte majeure : un nouvel éditeur, joliment baptisé Gutenberg. Il ne s’agit évidemment pas d’une référence à une jolie montagne germanique, mais à l’imprimeur : selon ses promoteurs, Gutenberg l’éditeur a pour ambition de bouleverser la publication de contenus en ligne comme Gutenberg l’homme révolutionna la production de livres.
Comme beaucoup d’utilisateurs de WordPress, mon premier réflexe a été un truc du genre “oh putain qu’est-ce qu’ils ont branlé ces abrutis ?!”, et mon deuxième “bon, il doit y avoir moyen de désactiver ça”.
Mais j’aime pas rejeter un truc juste par conservatisme, et je me suis dit que s’ils avaient passé des mois à développer cet éditeur puis en avaient fait l’outil principal (sinon unique) de WordPress, il devait y avoir une raison.
J’ai donc utilisé Guntenberg pendant un mois, un peu plus même, de mi-décembre à fin janvier, histoire de m’y habituer, de chercher ses avantages et inconvénients, de comprendre comment il fonctionne, et de dépasser la première impression. Puis, je suis revenu à l’éditeur classique et j’ai refait une paire de billets pour pouvoir comparer les deux.
Spoiler alert: une semaine après, j’écris le présent billet sous l’éditeur classique. Tut mir leid, Johannes.
D’abord, petite présentation. À première vue, Gutenberg ressemble à un éditeur minimal : le texte et les images sont mis en avant avec très peu de fioritures. Notez l’absence d’une barre de menu avec les réglages possibles : ceux-ci n’apparaissent que quand on active un bloc de texte. La colonne de droite contient les réglages de l’article et, lorsque vous activez un bloc, elle bascule pour afficher ceux du bloc (couleur du texte ou alignement de l’image, par exemple).
Beaucoup d’utilisateurs ont été dérangés par le fait que ça ne ressemble plus du tout à un traitement de texte, qu’il faille passer dans la colonne de droite pour des trucs liés au texte et que du coup, il faille une manipulation supplémentaire (cliquer sur “Document”) pour revenir aux réglages de l’article lui-même. C’est un peu agaçant, mais c’est du domaine du détail ergonomique.
En revanche, la vraie particularité de Gutenberg, c’est que chaque paragraphe est un bloc différent.
Et qu’il s’édite individuellement, séparément du reste.
Ça a un avantage, et un seul : si vous avez plein de photos, de vidéos, de documents divers et variés, vous pouvez les déplacer très facilement, et la gestion de chacun est totalement indépendante des autres. Dans mon cas, ça me simplifie un truc : j’essaie d’équilibrer la répartition des images dans le texte et, sous Gutenberg, il suffit d’un clic pour les faire monter ou descendre d’un paragraphe.
Ça a en revanche un inconvénient majeur : si votre article est, essentiellement, un texte (éventuellement illustré), vous allez souffrir. Gutenberg n’est pas un éditeur de texte, c’est un éditeur de disposition de blocs. Deux paragraphes ne sont pas deux portions d’un texte unique, ce sont deux machins autonomes qui ne sont reliés en rien. Si vous voulez copier-coller deux paragraphes d’un coup, c’est mort : dès que vous sortez d’un “bloc”, Gunteberg passe en sélection multi-blocs, un truc qui lui est propre et qui ne permet pas de sélectionner librement le texte lui-même. Si vous utilisez un logiciel de correction, par exemple, c’est mort : vous devez faire un appel par paragraphe. Non seulement ça devient très vite très chiant (à moins que vous tapiez au kilomètre sans aucun retour à la ligne), mais ainsi vous perdez l’un des grands intérêts de ces logiciels : la détection de répétitions entre la fin d’un paragraphe et le début du suivant.
Donc, c’est un vrai gros point noir : Gutenberg rend Antidote et consorts tout simplement inutilisables.
Le deuxième point noir, en ce qui me concerne tout au moins, c’est que les concepteurs de Gutenberg ont décidé que vous deviez taper dans une fenêtre plein écran (en full HD de préférence). Ce n’est pas mon cas : j’utilise une fenêtre de sources et une fenêtre d’édition, celle-ci restant à l’arrière-plan tout le temps que je tape du texte et intègre des images.
(Petit rappel : il est inutile de me proposer un gestionnaire de fenêtres qui met automatiquement la fenêtre active devant les autres, c’est un truc qui me rend dingue. Je suis assez grand pour organiser mes fenêtres comme je l’entends, merci.)
Avec mes fenêtres réduites, Gutenberg ajoute logiquement des ascenseurs à la zone de texte et à la colonne de droite. Jusque là, c’est normal, rien à dire.
Mais il garde sa propre zone prévue pour un Full HD. Apparaît donc un troisième ascenseur, tout à droite, qui fait défiler l’ensemble de l’éditeur. Son utilisation est obligatoire pour revenir au titre ou descendre à la dernière ligne de l’article : si vous vous contentez de la molette dans la zone des blocs, vous allez arriver à une butée où vous ne verrez pas tout ce que vous voulez.
Ça, pour le coup, en ce qui me concerne, je trouve ça insupportable.
Il y a deux colonnes, oui. Je fais défiler celle que je veux, oui. Et ça doit me permettre d’accéder à l’ensemble des éléments de cette colonne. Ça n’est pas un inconvénient mineur comme “l’interface demande un clic de plus pour accéder aux paramètres du document” ; là, c’est “l’interface bloque l’accès au document lui-même”, et ça, c’est un énorme problème.
Au retour sous l’éditeur classique, c’est la première chose qui m’a frappé : aucun de ces petits inconvénients. Il a un ascenseur unique qui permet de faire défiler la page d’un bout à l’autre et si je fais Ctrl+A, ça me sélectionne tout le texte, prêt à envoyer dans le correcteur.
Je me suis aperçu aussi que pour modifier l’ordre des paragraphes, déplacer des images, etc., finalement, le bon vieux couper-coller marche très, très bien. Évidemment, c’est un micropoil plus compliqué que de cliquer sur un bouton, mais sur le plan logique, cela reste fonctionnel. Et ça permet d’utiliser d’un bout à l’autre de l’article un vrai éditeur de texte, unifié, avec des boutons toujours dans le même ordre et au même endroit, chose dont je n’avais pas totalement réalisé à quel point elle me manquait avant d’y revenir.
Et puis, il y a des petits trucs, comme l’accès direct aux étiquettes les plus couramment utilisées et à l’image mise en avant. C’est tout bête, mais comme Gutenberg masque les paramètres du document dès qu’on clique dans un bloc, j’avais tendance à oublier ces réglages et à m’apercevoir après publication qu’il n’y avait pas de miniature dans la liste des articles, pas de rubrique, pas d’étiquette… Dans l’éditeur classique, la colonne de droite étant dédiée à ça et visible en permanence juste sous le bouton “Publier”, j’y pense beaucoup plus facilement.
Le bilan est simple : si vous créez un site avec des images, des vidéos, des trucs comme ça, Gutenberg pourrait être l’outil qu’il vous faut. Il est donc idéal pour créer une page d’accueil avec des blocs dynamiques.
Le problème, c’est que WordPress essaie de le pousser comme un éditeur d’article, tâche pour laquelle il est, désolé mais je ne vois pas de mot plus poli qui transmette aussi précisément ce que je veux dire, merdique. Malpratique pour l’édition elle-même, il est en prime incompatible avec les correcteurs et son interface est honteusement mal foutue si votre fenêtre n’est pas plein écran en permanence.
Tout ça pour dire qu’après un vrai essai sur la durée et une trentaine de billets tapés, ç’a été un vrai plaisir de retrouver l’éditeur classique, peut-être moins clinquant, moins moderne, moins multimédia, mais tout simplement pratique.
Et si vous vous posez la question, oui, il y a quand même un billet où Gutenberg m’a simplifié la vie : celui avec plein de blocs et presque aucun vrai texte, le bilan cinéma 2018.