Joyeux anniversaire
|Franchement, il était pas joli-joli, cézigue. Faut dire que pour le sport, il était pas gâté, avec son lambeau de bras qui pendouillait comme une branche pétée. Côté bol, c’était pas Byzance non plus : à huit piges, le gagne-croûte de son paternel a capoté et ses deux vieux ont dû trimer, lui à l’usine, elle au brignole. Le mioche devait s’user la cervelle à taper des chiffres, mais son truc, c’était plutôt les lettres : entré par hasard chez un bouquinier, il a commencé à pisser de la copie pour les gones.
V’la-t’y pas que ça a marché. Ses polars fastoches ont plu jusqu’à Paname, ousqu’il est monté à la trentaine avec rombière et lardons. Alors il a creusé le filon. Il était pas jouasse, hein, croyez pas. Monsieur rêvait d’être un vrai auteur, avec des beaux mots et tout. Mais ses conneries pleines de suspense, d’aphorismes à deux balles, de bites, de cons et d’abrutis dégueulasses faisaient marrer la galerie et payaient la bouffe.
Comme n’importe qui, le démon de midi et l’ambiance de 68 lui ont monté le bourrichon : il a pris le grisbi et s’est barré en Suisse avec une nouvelle gonzesse. C’est d’ailleurs là que leur rejetonne s’est retrouvée embringuée dans une virée digne d’un polar de son dabe, avec un ravissant qui se prenait pour la Mite et qui s’est fait chopper connement d’un coup de bigo.
Comme tout Français moyen, il a cané à 78 piges, après avoir pondu du San‑A (et d’autres machins moins connus) jusqu’à son dernier souffle. Mais mine de rien, peut-être plus que la gagadémie française, il a laissé sa trace dans la langue, comme on dirait d’une sucette bourrée de colorants.
Joyeux anniversaire, Frédéric Dard.