Canadair et France 3 Occitanie
Vous le savez, les bombardiers d’eau, c’est mon dada. Or, France 3 Occitanie a publié un article sur le sujet. Celui-ci est truffé d’erreurs, certaines sont des conneries monumentales qui je pense pourraient leur valoir des poursuites si les personnes concernées n’avaient pas autre chose à faire en cette saison, mais apparemment France 3 Occitanie ne veut pas le corriger (et a supprimé mon premier commentaire sur Facebook). Voici donc les erreurs et problèmes que j’ai relevés en lisant en diagonale :
- Canadair est une marque, donc invariable. Si on veut jouer l’antonomase, ça devient des canadairs sans majuscule (comme des poubelles), mais c’est une pente glissante qui finit par faire appliquer le terme à n’importe quoi donc on évite dans un article d’information.
- Les 12 Canadair français ne sont pas “12 vieux avions”. Le plus âgé a 30 ans ; les plus anciens Canadair en service ont plus de 50 ans – et c’est au Canada, pas un pays sous-développé qui n’aurait pas d’autre choix.
- Pas une erreur mais un sous-entendu trompeur : TOUS les avions exigent “entretien et réparations”. Tous. Dès leur sortie d’usine. Surtout des hydravions écopeurs, qui sont amenés à prendre des coups quinze secondes toutes les dix minutes tout au long de leur vie.
- Pareil, affirmation trompeuse : larguer très bas et faire des virages serrés, ce n’est pas être malmené. Chaque avion a un domaine de vol, et les pilotes de Canadair n’en sortent pas. Des avions malmenés (autrement dit des dépassements non accidentels du domaine de vol), ça a existé, mais les accidents de 2005 et en particulier la rupture de Pélican 36 ont fait brutalement évoluer les mentalités. En outre, c’est bien plus à l’écopage (surtout en mer) qu’en vol qu’ils souffrent. Imaginez qu’on dise qu’une Jeep est malmenée parce que son conducteur la fait rouler hors des routes bitumées : c’est exactement le même niveau.
- “Vingt ans pour les plus jeunes, trente ans pour les plus âgés”, c’est dans la force de l’âge. Un Canadair, ça peut travailler au moins 50 ans si c’est entretenu comme il faut.
- La commande de deux nouveaux appareils n’est pas due à l’âge des appareils, mais au renforcement du dispositif d’entraide européen, RescEU. C’est pour cela que la Commission européenne finance l’achat de 12 Canadair, répartis entre les six pays utilisateurs (donc deux pour la France).
- Les 22 appareils ne sont pas tous financés par l’Union européenne. Pour la défense de la journaliste, le tweet de Darmanin est extrêmement trompeur : l’Europe finance 100% des avions achetés pour le renfort de RescEU, soit 12 appareils. Elle ne finance pas (ou du moins pas entièrement, elle subventionne peut-être, je n’ai pas le détail des contrats) les dix appareils commandés par l’Espagne et la Grèce pour leurs propres flottes.
- Vrai mais présenté comme bizarre alors que c’est parfaitement normal : une seule entreprise construit cet avion. C’est le cas pour quasiment tous les avions. Personne n’aurait l’idée saugrenue de dire “une seule entreprise fabrique l’A350, Airbus” ou “une seule entreprise fabrique la Mégane, Renault”.
- Imprécis : “Canadair DHC-515”. Ce n’est pas un Canadair, vous ne trouverez la marque “Canadair” nulle part sur le site de DHC. Pour une raison simple : si DHC a acheté les certificats de type, la propriété intellectuelle, l’outillage et tous les droits sur le CL-215 et ses dérivés, la marque Canadair appartient toujours à Bombardier. Ce sera donc un De Havilland Canada DHC-515 (même s’il est possible qu’il soit toujours marqué Canadair CL-215–6B11 sur son certificat de navigabilité).
- “Sans aucun équivalent au monde” : très discutable. Les bombardiers d’eau écopeurs sont rares, mais il y en a d’autres. Le Beriev Be-200 est le plus connu, mais un prototype de l’Avic AG600 a fait la démonstration de ses capacités dans ce domaine. Après, le terme “équivalent” est flou, donc cette phrase n’est pas fausse dans l’absolu : si on parle de biturbopropulseur, par exemple, le CL-215T/415/DHC-515 est unique.
- “Une seule pièce d’origine : leur plaque d’immatriculation” : c’est juste faux. La totalité des CL-415 français a encore l’intégralité de sa cellule (fuselage, ailes et dérives) d’origine : même Pélican 42 n’a pas eu besoin d’une nouvelle aile après sa rupture de train d’atterrissage. On a bien refait une tôle ici ou là, notamment quand 33 a percuté un mât d’une péniche, mais aucun n’a jamais été reconstruit à partir de sa plaque d’immatriculation. Cette affirmation pouvant porter atteinte à la réputation de l’avionneur, de la société de maintenance et de la Sécurité civile, c’est clairement la plus problématique de l’article : on entre dans le cadre de la diffamation publique envers un corps constitué, une des infractions les plus graves en droit de la presse.
- “Un avion peut se retrouver sol” et un lecteur peut se retrouver la, et un poisson peut se retrouver si, ou ré ou tout simplement do. (Désolé pour les jeux de mots lapointesques, mais à ce stade on se détend comme on peut.)
- “Un avion peut se retrouver AU sol plusieurs jours” (ça va mieux avec la préposition), oui, c’est le principe de la maintenance. De nombreuses opérations ne se font pas dans la journée, c’est normal. Pélican 42 est resté au hangar plusieurs mois le temps de vérifier et réparer son aile, son train, de réinstaller un ballonnet neuf, etc. La question n’est pas qu’un avion reste au sol plusieurs jours, mais de savoir si les délais de réparation sont normaux (et là, clairement, ils le sont pas toujours).
- “Nos avions ont la même panne huit fois de suite”, présenté comme ça, on dirait que c’est habituel. Si Benoît Quennepoix a cité ce chiffre, c’est sans aucun doute justement parce qu’il est exceptionnel. En outre, des pannes récurrentes, sur l’avionique (les instruments de bord), c’est hélas assez courant et ça fait s’arracher les cheveux à plus d’un ingénieur : elles ne peuvent pas toujours être reproduites au sol, et bien souvent ça se finit par “on voit pas d’où ça vient donc on va changer l’instrument”. Le problème, c’est que certains instruments du CL-415 sont en rupture de stock.
- “Dans quelques années, le territoire d’intervention s’étendra probablement bien au-delà du sud” : c’est évidemment déjà le cas. Les Canadair ont des secteurs d’écopage reconnus jusqu’en Île-de-France, les Dash sont déjà intervenus de la Bretagne aux Vosges. Il y a des décennies que les opérations ne sont pas limitées au “Sud”. Oh, et en fait, nos Canadair ont déjà servi… en Suède !
Voilà voilà, ça fait beaucoup pour un seul article, on aimerait que France 3 Occitanie mette rapidement l’article à jour après l’avoir fait retravailler par des personnes qui connaissent le sujet.
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Franck
Si quelqu'un fait un film qui raconte l'histoire d'un photographe qui fait du trafic de chocolat en Bellanca Super Viking, ce sera moi.