Rappel des faits : on sort d’une journée de glisse, avec émotions fortes dans des sortes de luges du genre violent et neige trooooop bonne qui ruine les cuisses, on a bu un apéro, on a fait un repas de sept plats avec cinq vins et un coup de gnôle.
C’est à ce moment-là que les organisateurs, qui n’ont pas froid aux yeux, nous incitent à… prendre le guidon.
Anne-Sophie, pas si folle que ça, s’assure quand même que ses ouailles soient soigneusement casquées.
Puis, c’est la découverte des véhicules. C’est comme un tricycle, mais avec des patins à la place des roues et pas de freins. Il paraît qu’on est censés se jeter dans la pente, dans la nuit noire et obscure, avec une lampe frontale en guise de kit de survie — et du pinot pour faire antigel.
“Tu arrêtes de faire l’enfant et tu t’assieds sur ton instinct de survie ! J’ai dit : “on descend la pente”, et sans râler !
— Bien Madame…”
(Ce que j’adore dans la photo, c’est qu’on peut lui faire dire absolument n’importe quoi. ^_^)
“Bon, ben moi j’y vais… Vous direz à ma veuve que je l’aime…”
On se lance donc dans la pente, les pieds bien calés dans la neige pour limiter la vitesse. On doit suivre le triskis de devant, mais ça n’a pas l’air de super bien marcher : à un moment donné, j’entends juste devant moi un “mais y tourne pas, le mien”, et me dis qu’il est temps de court-circuiter le conseil initial et tenter de suivre les autres loupiotes que je devine plus loin.
Je braque, et bien entendu… rien. Je plante le pied à droite, ça oblique enfin, il doit y avoir moyen de tourner sans freiner pourtant ‽ Pas le temps de chercher, je suis sur le plat, arrêté, je vois des petites lueurs au loin, quelqu’un me dépasse, l’eau gelée dans mes yeux, j’peux même pas dire qui c’est. Je me lève, marche avec cet engin bizarre à la main, retrouve le guide et les gens dont le véhicule braquait…
On laisse passer une dameuse…
L’organisatrice nous rejoint, tiens, on dirait qu’il y a de la neige sur mon objectif…
Puis c’est reparti, dru dans l’pentu. Étant le plus lourd du groupe — c’est le drame d’être bâti et musclé comme je le suis ^_^’ —, je prends trop facilement de la vitesse. Plantage de pieds dans la neige, je bouffe un kilo de poudre glacée. Bon sang, le guide a dit un truc sur le freinage…
Mettre le patin avant en travers, il disait. Ah oui, mais alors là, maintenant, il tourne, le mien !
Du coup, je comprends que pour tourner, faut déhancher en même temps, et que pour freiner, c’est pareil mais plus fort — un peu comme en skis, en fait, on se met en travers. Un coup à droite, un coup à gauche, on arrive finalement presque à contrôle sa trajectoire. Le truc délicat, c’est s’il faut prendre un virage : faut bien placer les coups de freins pour que le dernier serve d’appel à la rotation.
On s’enfile à droite dans une piste étroite, en sous-bois, qu’on a vue plus tôt et qui est magnifiquement bucolique de jour. De nuit, c’est juste un mur à droite, un trou sans fond à gauche, et faut osciller entre les deux… Vaguement flippant, superbement grisant, surtout que tout le monde laisse filer et que j’ai presque plus besoin de freiner. Faut immortaliser ça.
Oui, bon, paraît que quand on conduit après un repas trop arrosé, faut tenir le volant. Mais bon, un photographe doit savoir prendre des risques.
J’arrête de freiner, en dix secondes je rejoints mon prédécesseur — Claude, si je ne m’abuse.
Je veux pas le doubler, j’ai qu’une main sur le guidon, je mets délicatement un pied sur la piste pour ralentir… On devait aller vite, en fait : ça soulève encore plus de neige que tout à l’heure. Au moins, on aura testé la résistance de ce pauvre boîtier !
Je me rends compte que j’ai photographié beaucoup de dos. Je freine pour me laisser rattraper, puis me retourne pour photographier. Vous dites ? Filer dans un engin qu’on maîtrise pas, dans la nuit noire, sur une piste étroite et méconnue, sans tenir le guidon et en regardant derrière, c’est pas prudent ? Mince alors !
Au bout, la piste s’enfonce brutalement pour passer dans un tunnel sous la route. Je crains un moment de pas arriver dans le bon sens, mais le dernier appel un peu violent me permet de passer au ralenti. Le groupe est arrêté, moi aussi, le leader se lève et nous parle.
“Bien, là, c’est un peu pentu, et après il faut tourner. Ratez pas le virage, il y a une rivière en-dessous, faudrait pas que quelqu’un tombe dedans.”
Non, cette fois, je déconne pas, c’est vraiment ce qu’il dit.
Enfin, ceux qui ont survécu jusqu’ici — 100 % du troupeau, à peu près — commencent à maîtriser leur engin, et deux minutes plus tard…
…un piéton qui collectionne les appareils photo bloque le passage. On doit donc être arrivés.
Derrière moi, certains jouent aux luges tamponneuses (“ah ben ça va glisser beaucoup moins bien hein, forcément”)… Mais on est tous entiers. Ouf. C’était vraiment de la folie furieuse, ce truc. Plus jamais je fais un truc aussi dingue.
Une minute passe, tout le monde arrive…
Euh, on peut recommencer ? Non ? Troooooop dommage, c’est l’éclate absolue ce machin ! T.T
Bon, ben on va se réchauffer alors.