Que faire quand vous êtes à Cuzco et qu’il vous reste quatre jours de vacances ? Foncer d’avion en avion pour voir ce salar de Uyuni dont tout le monde parle, ou prendre le temps de se détendre un peu ? Tiens, et le Titicaca, il vaut le détour ?
Pour la deuxième fois, nous prenons un bus de nuit. Direction Copacabana, sur la rive bolivienne du lac. Enfin… En théorie. Nous arrivons à Puno à l’aube (et le lever de soleil sur le Titicaca, c’est joli). Nous devons y avoir une correspondance, mais surprise : le bus pour la Bolivie part du coin de la rue et non du terraport et il appartient à une autre entreprise, subtilité que la compagnie qui nous a vendu les tickets n’a pas jugé utile de préciser. Problème : ledit bus ne veut pas prendre le vélo de Clémence. De ce que je comprends de la discussion animée en espagnol qui suit, la représentante de la compagnie estime que nos places ont bien été réservées donc c’est pas son problème, le conducteur n’a pas la place de prendre un vélo, Clémence avait bien signalé qu’elle en avait un et a déjà payé un surcoût pour le faire transporter. Le bus part sans attendre la fin de la discussion et, après rappel insistant que Clémence a bien payé billet et surplus de bagages, la représentante de la compagnie nous embarque à travers un terrain vague, jusqu’au départ des minibus.
Là, un conducteur accepte de nous charger avec le vélo. Celui-ci en place sur le toit, il demande à Clémence un surcoût, qui est immédiatement renvoyé à la dame de compagnie, qui refuse de payer parce que y’a pas de raison que la compagnie paie pour nos bagages, Clémence lui fait remarquer que le billet payé prévoyait le transport en bus avec le vélo et que c’est pas son problème si la compagnie doit sous-traiter à des transporteurs payants, enfin, ça, c’est à peu près ce que je reconstitue parce que tout le monde parle vite dans un idiome que je comprends à peine quand on le parle calmement.
Au bout du compte, nous voilà dans un Hiace vers Copacabana, enfin… vers la frontière. Comme il y a une taxe pour la passer, les minibus s’arrêtent juste avant, à Yunguyo, à charge pour les voyageurs de trouver un transport de l’autre côté. Petit détail : il reste dix bornes à faire pour arriver à Copacabana. Au passage, discutant avec d’autres de ce petit soucis logistique qui consiste à vendre des billets Cuzco-Copacabana alors qu’on vous refourgue au hasard à Puno à des bus qui s’arrêtent à Yunguyo, on entend que c’est hélas très courant avec certaines compagnies, que les autochtones aussi trouvent que c’est un problème à la limite de l’escroquerie, et que quand on le sait il vaut mieux prendre un billet pour Puno et se démerder ensuite au moins on sait pourquoi on galère.
Au passage de la frontière, je m’aperçois qu’il me manque un truc : j’ai plus la pochette où j’avais ma réserve d’euros, mes cartes mémoires vides et mes imprimés de billets d’avions. Je l’avais mise dans mon petit sac en partant de Cuzco, mais je n’avais pas fermé celui-ci, qui contenait aussi la bouffe et l’eau : soit la pochette est tombée, soit quelqu’un en a profité pour l’adopter. Trop tard pour chercher de toute façon, et je n’ai rien d’essentiel — faudra juste que je télécharge les références des billets quand j’aurai du Wi-Fi. Bilan de l’opération : une centaine d’euros qui a dû faire d’autres heureux.
Vue la distance restante, Clémence poursuit à vélo, je prends un taxi au tarif ridiculement bas (cinq bolivianos, environ 0,5 €) et je profite d’avoir trois quarts d’heure de marge pour chercher un vélo à louer. Les policiers de la place du 2 février savent pas, mais tout ce qui est touristique est entre la plage et la place Sucre. Sur la place Sucre, je demande à deux-trois personnes, tout le monde me dit qu’il y a des loueurs en descendant vers la plage. Arrivé sur la plage, on me dit de voir plus à l’ouest. Arrivé au bout de la plage, il paraît qu’il faut remonter… Finalement, je trouve un panneau “Bike rental” à cinquante mètres de là où je suis descendu du taxi, après avoir fait le tour de la moitié de la ville. Le plus grand vélo est un VTT avec des roues de 24″, une selle en plastique inclinée vers l’arrière et deux freins à disques mais sans plaquettes, ça promet d’être rock’n’roll.
Clémence arrive, on trie ce qu’on emporte et ce qu’on laisse au loueur, et direction le lac. Là, je prends une grosse claque.
Je connais les lacs de montagne, je me baignais dedans avant même de savoir écrire “Alpes”. Mais ça, c’est pas un lac de montagne, même un grand comme ceux d’Annecy ou du Bourget. C’est une mer d’eau douce qui s’étend jusqu’à l’horizon, avec un paysage de garrigue autour qui fait penser au Vaucluse fin août, à cette petite subtilité près que la moindre montée se charge de vous rappeler que la surface est à 3810 m au dessus du niveau des mers salées.
La piste longe le lac, grimpant de temps en temps une colline entre deux villages, et le paysage est à chaque fois splendide. Le climat est avec nous, avec un ciel bleu très dense qui met les panoramas en valeur même si le soleil est quasiment vertical. Quand le soir arrive, on avise un champ sur la berge avec des gens dedans. Les gamins sont super contents de monter la tente, de voir des gens qui ressemblent pas aux voisins et de jouer avec le vélo de Clémence, impressionnant avec ses sacoches et sa sonnette. Les parents sont en train de peler des pommes de terre crues, avec une aisance que je n’aurais pas même si j’avais des ongles et de l’entraînement, c’est l’occasion de papoter un peu — premier sujet : la langue qu’il parlent entre eux, c’est pas du quechua, c’est de l’aymara.
La chute du jour est assez rapide, mais laisse profiter de couleurs impressionnantes. (Petit placement produit au passage : l’une de ces photos est planquée dans le numéro 5 de Workflow, un des magazines grâce auxquels j’ai une collègue à qui emprunter un sac de couchage 0°C.)
Le lendemain, nous allons jusqu’au bout de la presqu’île, sans pousser jusqu’au ferry de l’Île du Soleil. Encore une fois, c’est pas un lac, c’est une mer d’eau douce dans le style caribéen. Nous remontons jusqu’au col, poussons jusqu’à Sampaya où, non, en fait, il n’y a pas d’auberge… Déjeuner de pâtes sur la place de ce village-fantôme, brève sieste avec les chiens du coin, remontée galère au col — c’est très pentu et mal pavé.
Oui, mon vélo est un peu petit. Photo © Clémence Rebours.
Seconde nuit au bord du lac, cette fois sur un promontoire en face de Copacabana. Le lendemain, on retourne en ville : je dois rejoindre La Paz pour prendre mon avion. Un bref passage dans un restau WiFi, je prends un billet de bus, séquence embrassade et je file tandis que Clémence doit poursuivre son chemin vers le sud.