Dans la vie de ma mère,
Venu trois ans avant moi,
À l’époque même mon père
Ne la voyait encore pas.
Grand, puissant, au cheveu brun,
Pour toi, on dit «alezan»,
Pour le roux que prend ton crin
À l’automne et au printemps…
Vingt-cinq ans, vingt-six ans, ça vient vite…
Ta pelote devient liste ;
Toi qui fus comme un grand frère,
Tu as fait ton temps sur Terre…
Jambes isolées, rênes d’appui,
Pour conduire, on pouvait même
Te guider à petits cris
En laissant tomber les rênes…
Réservant tes facéties
Aux cavaliers confirmés,
Tu restais tranquille si,
Sur ton dos, on hésitait.
Je me souviens qu’à quatre ans,
J’allais déjà sur ton dos,
Toujours calme, toujours confiant,
Au pas et au petit trot.
Vingt-cinq ans, vingt-six ans, ça vient vite…
Ta pelote devient liste ;
Toi qui fus comme un grand frère,
Tu as fait ton temps sur Terre…
Pour t’empêcher de brouter,
Je n’étais pas assez fort ;
On a alors attaché,
À la selle, ton hackamore.
Je me souviens, vieux farceur,
De ce jour où, profitant
D’un talus de bonne hauteur,
Tu bâfras impunément.
Moi, je criais et tirais
Sur les rênes en sanglotant,
Impérial, tu t’en foutais,
Mâchonnant et mâchonnant…
Vingt-cinq ans, vingt-six ans, ça vient vite…
Ta pelote devient liste ;
Toi qui fus comme un grand frère,
Tu as fait ton temps sur Terre…
Je ne compte pas les heures,
Sur ton dos, que j’ai passées,
Sans jamais avoir grand peur,
Sans jamais m’être blessé.
Même à cru, juste un licol,
Et la longe dans ma main,
Juste l’appuyant sur ton col,
Tu obéissais si bien !
Vingt-cinq ans, vingt-six ans, ça vient vite…
Ta pelote devient liste ;
Toi qui fus comme un grand frère,
Tu as fait ton temps sur Terre…
Quand on monte l’enthousiaste,
De vingt années ton cadet,
Un jour calme est un jour faste
Qu’on apprend à apprécier !
La direction insistée
Fait des bras de camionneur ;
Il folâtre dans les fossés
Et zig-zague à longueur d’heure…
Vingt-cinq ans, vingt-six ans, ça vient vite…
Ta pelote devient liste ;
Toi qui fus comme un grand frère,
Tu as fait ton temps sur Terre…
Ça vaut bien que je t’adresse
Ces quelques vers maladroits
Pour te dire, dans ma jeunesse,
À quel point, toi, tu comptas.
Moi qui vis si peu d’humains,
Toutes les bêtes étaient mes sœurs ;
Toi, dernier, tu pars enfin,
Et c’est un frère que je pleure.
Toi qui es si important
Dans mes souvenirs d’enfant,
Je dois te faire mes adieux :
Tu vas revoir tes aïeux…
(07/01)