Adulte sans enfant
Un certain François Aubel a publié récemment ce tweet :
Sidéré par le nombre d’adultes, sans enfants, qui vont voir #ViceVersa. Infantilisation de notre société.
— François Aubel (@francoisaubel) 29 Juin 2015
Bon, bien sûr, je peux me sentir vaguement visé, puisque j’ai vu Vice versa. Sans enfant. Et même, je l’ai aimé.
Du coup, je pourrais répondre par une boutade, genre “je suis pas un adulte sans enfant, je suis un adulte avec un enfant à l’intérieur de moi”, mais je pense que ça ne ferait que renforcer sa remarque sur l’infantilisation. Je pourrais aussi remarquer que “c’est quand même très moche” n’est pas vraiment un argument suffisant pour disqualifier un film, vu que les goûts et les couleurs, tout ça.
Je pourrais surtout décider que je m’en fous, comme 99 % des fois où je vois quelqu’un critiquer les gens qui vont voir un film.
Mais.
Mais François Aubel est rédacteur en chef du service culture du Figaro.
Il n’a pas l’excuse du pékin ordinaire qui va voir un dessin animé pour accompagner ses gosses en partant du principe qu’il aimera pas ça. Non, c’est quelqu’un qui gagne sa vie en s’intéressant à la culture.
Qu’il ne comprenne pas qu’on s’enthousiasme, c’est évidemment tout à fait normal. Nous n’attendons pas tous la même chose d’un film, nous ne sommes pas sensibles aux mêmes ressorts, et on peut tout à fait passer à côté de ce qui touchera une autre personne.
En revanche, qu’il qualifie d’infantilisation le fait que des adultes aillent voir un tel film, je trouve ça spectaculaire. D’abord parce qu’un adulte peut avoir envie de bouffer une madeleine de temps en temps, sans pour autant être moins adulte que son voisin qui ne regarde que des films de Kusturica en VO (oui, je réponds à la caricature par la caricature, c’est mon côté puéril). Ensuite parce qu’on ne parle pas de Cendrillon ou de Planes, là : on parle d’un film avec différents niveaux de lecture, une initiation certes allégée mais pas si mal fichue à la psychologie, bref, un truc qui ne s’adresse pas qu’aux enfants un peu benêts.
Il y a plein d’adultes de ma génération qui ont des gosses. Et vous savez quoi ? Ils sont responsables, les élèvent bien, leur apprennent la politesse, la patience, tout ça. Et ils les emmènent au cinéma. Et des fois, ils adorent les emmener au cinéma, parce qu’il y a des films “pour enfants” qui sont assez bien fichus pour plaire à plein d’adultes.
Qu’eux aillent voir Vice versa, c’est évidemment normal : ce sont des adultes responsables qui nourrissent la curiosité culturelle de leurs enfants et qui en profitent pour passer un bon moment. Ce que j’ai du mal à comprendre, c’est pourquoi parce que moi, je n’ai pas d’enfants, je ne pourrais pas passer le même bon moment sans démonter l’infantilisation de notre société. Si mes potes qui ont procréé peuvent l’apprécier, pourquoi devrais-je m’en priver ?
Je ne le nie pas : l’infantilisation au cinéma existe. Quand les sorties de l’année reposent sur Jurassic park, Terminator, La guerre des étoiles et autres Mad Max, on vise expressément les individus qui veulent retrouver leurs souvenirs de jeunesse. Là, oui, je comprends qu’on parle d’infantilisation, en cela qu’on pousse les gens à rester dans leur adolescence et à ne pas ouvrir leur univers à un autre âge — et j’ai pas encore mentionné Les mondes de Ralph, qui repose à 100 % sur ce principe et est un vrai film pour vieux enfants.
Mais ce n’est pas le cas de Vice versa, non plus d’ailleurs que de la plupart des films “pour enfants” pas trop niais : ils peuvent aussi faire passer un bon moment à un adulte. Et je ne vois vraiment pas pourquoi le fait que je n’ai pas d’enfants devrait m’interdire de le voir, ni en quoi le fait que j’aille le voir démontre un problème d’infantilisation.