Mon bô drapeau…

Drapeau de l'ONU

La «chose», le truc, enfin, le machin, là, qui est cen­sé repré­sen­ter les socia­listes, veut que j’aie un dra­peau fran­çais chez moi et que j’ap­prenne la Mar­seillaise à mes gosses, pour que nous nous sen­tions fran­çais, allon­zen­fants etc…, y’a pas de rai­son de lais­ser le sang impur à Le Pen et Sarko.

Mais voi­là, ça me pose un problème.

Ou deux.

Enfin, bref, plu­tôt crever.

Car invi­ter des sym­boles chez soi, ce n’est pas seule­ment les voler à ceux qui les uti­lisent (voire les détournent), c’est aus­si, tout bête­ment, les invi­ter chez soi.

Le dra­peau fran­çais n’a pas été des­si­né comme ça, pour faire joli. Chaque cou­leur a une sym­bo­lique. Le blanc, notam­ment, nous parle de dieu l’u­nique, le machin chré­tien, et du royaume. Autant de notions que j’ai­me­rais lais­ser à la porte de chez moi.

L’hymne natio­nal est très amu­sant lui non plus. L’autre nous dit que ce n’est pas un hymne raciste et violent, mais que c’est l’hymne de tous les Fran­çais. Ah ?

C’est pas raciste, le «sang impur» ?

C’est pas violent, « S’ils tombent, nos jeunes héros, la France en pro­duit de nou­veaux, contre vous tout prêts à se battre» ?

Purée, j’ai encore relu les paroles pour être sûr, mais plus violent et outra­geant que cette salo­pe­rie, c’est dur à trou­ver sans appe­ler Sar­dou à la res­cousse ! Si un chan­teur écri­vait des trucs pareils aujourd’­hui, il se ferait sacré­ment cha­hu­ter ! On me dira : «Oui, mais à l’é­poque où ça a été écrit», tout ça. Jus­te­ment : c’é­tait peut-être un bel hymne à une époque où la répu­blique était en guerre contre tous les royaumes et où elle avait besoin de chair à canon et de cer­veaux dis­po­nibles, mais de nos jours, il serait peut-être temps de pen­ser à quelque chose qui chante l’a­mour plu­tôt que le poing dans ta gueule.

Mais sur­tout, ce qui me gêne avec ces sym­boles, c’est qu’ils repré­sentent un atta­che­ment à un pays, la France.

J’aime l’en­droit où je vis, et j’ap­pré­cie (la plu­part de) les gens qui y vivent. J’aime la langue fran­çaise, et je savoure de vivre dans un état de droit (en géné­ral) où l’on peut expri­mer une cri­tique sans se faire plom­ber ou enfermer.

Mais je ne suis pas atta­ché à la France en tant que telle.

Seul le hasard m’a fait naître en France. Je recon­nais que c’est une chance, parce que c’est un coup de bol mons­trueux d’être gou­ver­né par nos ins­ti­tu­tions plu­tôt que par celles qui écra­bouillent joyeu­se­ment un bon paquet de Chi­nois, de Russes, d’A­fri­cains et d’autres individus.

Et je suis heu­reux d’être de la même espèce que Vol­taire, Dide­rot, Jau­rès, Fer­ry (Jules, pas l’autre), Pas­teur et aus­si Ghan­di, Ein­stein ou Rush­die (qui ne sont pas Fran­çais mais res­tent des bons­hommes remar­quables par cer­tains aspects) : ça me donne un espoir d’ar­ri­ver un jour à penser.
Mais la France, au fond, c’est quoi ?

C’est un pays.

Et un pays, me direz-vous, c’est quoi ?

C’est un ter­ri­toire avec des frontières.

Pour quoi faire ?

Pour dire que ça, c’est chez moi et que si t’es­saies d’y foutre les pieds, non seule­ment je vais te foutre sur la gueule, mais aus­si tous ceux qui vivent à l’in­té­rieur des mêmes fron­tières que moi.

À la base, c’est à ça que ça sert, un pays : à foutre sur la gueule des voi­sins pour piquer leur ter­ri­toire et dire : «mon pays, il est plus grand, na». C’est exac­te­ment comme dans un bac à sable, quand vous avez une bande mor­veux qui s’al­lient pour gar­der l’en­semble du sable pour eux. C’est pour ça que le pays doit être grand, fort, avec plein de gens dedans : pour être sûr que les autres, les méchants, les étran­gers — rete­nez bien ce mot –, voire les infé­rieurs légè­re­ment basa­nés, ne viennent pas piquer notre sable.

Je vous entends déjà  : «Le pays, ça sert aus­si à affir­mer nos droits et à les défendre de ceux qui n’ont pas la même concep­tion des choses. Sans un pays, n’im­porte qui pour­rait venir chez vous prier des dieux païens et vous brû­ler parce que vous ne priez pas à la même heure. C’est grâce à un pays laïque que vous êtes libre de ne pas aller à la messe le dimanche.»

Certes.

Le pro­blème, c’est que ce n’est pas l’es­sence d’un pays, mais celle de l’en­cy­clo­pé­die, par exemple. Ce n’est qu’un avan­tage secon­daire du fait d’a­voir un pays, et le fait que l’exis­tence de notre pays per­mette de mécroire tran­quille­ment n’est pas vrai­ment contre­ba­lan­cé par le fait que l’exis­tence d’autres pays empêche d’autres gens d’a­voir accès aux mêmes droits.

C’est l’en­cy­clo­pé­die, au contraire, qui, en ten­tant de ras­sem­bler tous les savoirs et toutes les pen­sées humains pour mieux les répandre, a pour essence pre­mière de pro­té­ger les gens (de l’i­gno­rance, de laquelle découle qua­si­ment tout le reste : un che­val ne serait jamais domi­né s’il savait com­bien il est plus cos­taud que nous, il en est de même pour les peuples écra­sés par une poi­gnée de malabars).

«La France, aimez-la ou quit­tez-la», disait l’autre, là, le gnome, en citant le gros bœuf. Le pro­blème, c’est qu’on pour­ra me dire la même chose par­tout : ce n’est pas la France que je n’aime pas, c’est la notion même de pays. Je suis Mara­ve­lou — ça désigne le pate­lin où j’ha­bite, c’est une consi­dé­ra­tion géo­gra­phique qui n’im­plique ni mon adhé­sion à l’en­semble des Mara­ve­lous, ni ma détes­ta­tion des étran­gers au Mara­vel –, je suis humain — là, on parle bio­lo­gie –, je suis ter­restre — consi­dé­ra­tion géo­gra­phique encore, mais un peu plus large que la pré­cé­dente et qui m’as­si­mile à l’en­semble des espèces vivantes connues.

Fran­çais ?

Oui, si on veut : d’un point de vue admi­nis­tra­tif, ça me donne des droits (comme celui de ne pas voter pour Royal) et des devoirs (comme celui de rever­ser une part de mes salaires pour faire fonc­tion­ner les ins­ti­tu­tions publiques). Mais si Fran­çais devient une qua­li­té par­ti­cu­lière, un signe dis­tinc­tif qui me per­met de prendre les autres — les étran­gers — de haut ou d’a­voir pitié d’eux, alors non mer­ci. Qu’on m’as­sure les mêmes droits en tant que ter­rien, et je serai le pre­mier à deman­der la dis­so­lu­tion de la France — puisque seule lui res­te­ra la vraie fonc­tion d’un pays, retour­nez lire le para­graphe sur le bac à sable.

Donc, si Madame Royal (ou n’im­porte quel autre clown) veut me voir mettre un dra­peau fran­çais chez moi, j’y met­trai un dra­peau de l’O­NU, qui est ce qui res­semble le plus à un fanion ras­sem­blant les gens sans dis­tinc­tion. Et si l’on veut me faire chan­ter La Mar­seillaise, j’en­ton­ne­rai joyeu­se­ment All you need is love.