La petite fille Bois-Caïman

de Fran­çois Bour­geon, 2009, *

On n’est jamais l’au­teur que d’un livre, paraît-il. Cer­tains s’en tirent avec les hon­neurs, à l’ins­tar d’un Robert Hein­lein dont le livre est un uni­vers décli­né en dizaines de tomes, d’autres ne se remettent jamais de leur œuvre majeure.

C’est le cas de Fran­çois Bour­geon, qui n’a jamais fait dans sa vie que pré­pa­rer, réa­li­ser, puis recy­cler Les pas­sa­gers du vent. Les com­pa­gnons du cré­pus­cule et Le cycle de Cyann, ses séries sui­vantes, n’ont été que des varia­tions sur un thème impo­sé où l’on sen­tait pla­ner l’ombre d’A­gnès de Rose­lande — la nar­ra­trice et per­son­nage cen­tral des Pas­sa­gers du vent, plus connue sous le nom de son amie d’en­fance Isa­beau de Marmaye.

À la fin du Bois d’é­bène, Hoel fuyait les auto­ri­tés en s’en­ga­geant dans la fli­buste, lais­sant Isa pour­suivre seule. Ima­gi­nant que celle-ci vive près de cent ans, il res­tait poten­tiel­le­ment quatre-vingts ans d’his­toire à nar­rer… C’est pré­ci­sé­ment le choix fait : vingt ans après, l’au­teur se sent obli­gé de publier un retour des Pas­sa­gers du vent et de com­plé­ter l’his­toire d’Isa.

Le pro­blème est alors de trou­ver un pré­texte. Et c’est pré­ci­sé­ment là que Bour­geon se tire un pin­ceau dans le pied. Pour être cer­tain d’en finir avec Isa, on la retrouve à 97 ans, en Loui­siane où elle s’est ins­tal­lée dans une plan­ta­tion. Le pré­texte est donc la guerre civile amé­ri­caine. Zabo, jeune fille carac­té­rielle et impul­sive — toute res­sem­blance avec Isa et Cyann, vous connais­sez la for­mule… — fuit la Nou­velle-Orléans et l’ar­mée nor­diste pour rejoindre la plan­ta­tion d’Isa.

Du coup, La petite fille Bois-Caï­man alterne deux nar­ra­tions : Bour­geon racon­tant la fuite de Zabo, accom­pa­gnée d’un pho­to­graphe, et Isa racon­tant les quatre-vingts années écou­lées depuis Le bois d’é­bène. Construc­tion ban­cale ? Sans nul doute. Mais sur­tout, on tourne en rond : dans ce pre­mier tome (La petite fille Bois-Caï­man est cou­pé en deux volumes), l’his­toire de Zabo reprend beau­coup trop sys­té­ma­ti­que­ment les tics nar­ra­tifs vus dans La fille sur la dunette et Le pon­ton : séduc­tion, approche, fuite, carac­tère pénible et égo­cen­trique du per­son­nage prin­ci­pal, pla­ci­di­té sui­veuse du mâle qu’elle croise… Zabo est une cari­ca­ture d’I­sa qui n’est là que pour ser­vir de pré­texte à reve­nir sur la vie de celle-ci à la fin du XVIIIè siècle.

In fine, on ne sau­rait applau­dir à cette reprise lour­dingue, auto-paro­dique et épou­van­ta­ble­ment ver­beuse d’une série assez extra­or­di­naire de finesse et d’é­lé­gance. J’ai lu les cinq tomes des Pas­sa­gers du vent sans doute une quin­zaine de fois, entre mes huit ans et l’heure actuelle, et je suis assez stu­pé­fait d’y avoir encore décou­vert cer­tains trucs lors de mon énième pas­sage sur ces pages il y a six mois — dans le carac­tère de Mary notam­ment. Et là, j’ai comme l’im­pres­sion qu’on est très, très loin du compte.