Foutage de gueule ?
|Dans la vie, faut être curieux, il paraît. Alors, j’ai été curieux : profitant d’un netbook de passage à la rédac, j’ai installé Gnome 3, la prochaine révolution de mon interface habituelle sur mon PC à moi.
Gnome 3, alias Gnome Shell, c’est une refonte complète et radicale du gestionnaire de bureaux, à l’instar de ce que furent KDE 4 ou les interfaces de Windows 95 et Mac OS X dans leurs domaines respectifs. De manière assez amusante, on peut noter que c’est à la mode ces temps-ci chez les libristes : après être très longtemps restés sur des logiques proches de Windows 95, KDE et Gnome refondent totalement leurs interfaces quasiment au moment où Ubuntu sort Unity.
Si vous avez eu l’occasion de subir mes diatribes orales, vous savez qu’Unity me donne des boutons, que je me suis forcé à le supporter toute une journée pour essayer de comprendre dans quel univers c’était censé être une bonne interface, et que face à cet échec flagrant, je suis revenu sous l’interface par défaut de Gnome 2 (avec quelques retouches à la gestion des fenêtres fournies par Compiz).
Gnome Shell me fait un peu le même effet. N’y retrouvant pas certains trucs chers à mon cœur, j’ai été chercher sur le site de Gnome 3 pour voir si des réponses s’y trouvaient, ne doutant pas une seconde que j’allais y trouver comment réorganiser mon panneau supérieur, avoir une liste des fenêtres sous les yeux, ou ajouter un bouton pour réduire les fenêtres.
J’ai pas été déçu. J’ai trouvé toutes les réponses voulues, mais c’étaient jamais celles que j’aurais souhaitées.
Ça se passe ici, dans la FAQ Gnome Shell.
Why no window list or dock?
The Shell is designed in order to minimise distraction and interuption and to enable users to focus on the task at hand. A persistent window list or dock would interfere with this goal, serving as a constant temptation to switch focus. The separation of window switching functionality into the overview means that an effective solution to switching is provided when it is desired by the user, but that it is hidden from view when it is not necessary.
Traduction : pouvoir changer de fenêtre, c’est chiant, parce que comme vous êtes con vous allez changer de fenêtre tout le temps. Pour vous rendre service, on a masqué le système de changement de fenêtres, comme ça vous allez pas être distrait et vous pourrez vous concentrer sur la tâche en cours.
Certes.
Sauf que.
Sauf que bordel, je suis peut-être particulier, mais chez moi, la même tâche nécessite souvent plusieurs fenêtres. Je suis journaliste, je travaille avec une fenêtre de rédaction (sous Firefox) et des fenêtres de sources. Il s’agit souvent d’une deuxième fenêtre de Firefox, d’un PDF ou d’un courriel. Et j’ai besoin de passer à la volée d’une fenêtre à l’autre, pour aller chercher une info, comparer celle du communiqué et celle de la fiche technique, ou que sais-je encore. Je dois aussi pouvoir passer rapidement sous Gimp pour éditer une image, puis revenir rapidement à Firefox pour l’intégrer à mon article. C’est la même tâche qui est répartie sur plusieurs fenêtres, plusieurs logiciels, et si je suis obligé de passer par le menu général à chaque changement de fenêtre, c’est un temps perdu monstrueux.
On a mis des années à généraliser le multitâches, voilà que sur l’influence des téléphones (qui n’ont pas assez de place pour afficher plusieurs logiciels à la fois) ou revient au monotâche. Ben non, chuis pas d’accord.
Le pire, c’est l’argument ultime :
The omission of a window list or dock also reduces the amount of screen space occupied by the Shell, and therefore makes it better suited to devices with smaller screens.
La liste des fenêtres, ça tient trop de place. Alors là, 1) j’ai de la place, c’est l’intérêt des bi-écrans, et c’est précisément pour ça que je dis que c’est pas une bonne idée de chercher à unifier l’interface d’une tablette et celle d’un ordinateur avec deux 24″, crétin ; 2) les systèmes qui veulent économiser de la place à l’écran, genre Android, ils commencent par virer la barre de titre d’une fenêtre, qui ne sert pas à grand-chose quand on y réfléchit bien.
Le pire, c’est que voici ce qu’affiche le Gnome Shell du Series 5 que j’utilise aujourd’hui :
En comparaison, voici ce qu’affiche habituellement l’outil de manipulation des fenêtres et de lancement des programmes que j’utilise sur tous mes PC sous Gnome 2, un petit outil baptisé DockBarX :
C’est clair : la présence d’un truc pour choisir les fenêtres fait perdre beaucoup de place… Comment ? Vous dites ? Il y a plus de place pour les fenêtres sur mon Gnome 2 que sur Gnome Shell ? Non, vous avez dû mal voir…
Continuons la lecture de cette superbe FAQ sur Gnome Shell.
Why aren’t there applets, widgets or gadgets?
The essential functionality provided by the applets found in the GNOME 2 desktop is being replaced by GNOME Shell. This includes the clock and calendar, logout, notification area, keyboard indicator, show desktop button, and so on.
Ah. Alors, j’ai dû rater l’applet qui permet de gérer les fenêtres… Oups, désolé, j’ai pas pu m’en empêcher.
Admettons qu’il y ait toutes les fonctions qu’on veut — alors déjà, j’ai pas trouvé comment afficher la température extérieure, mais passons. Admettons. Sommes-nous tous sûrs de vouloir exactement les mêmes fonctions ? Par exemple, est-on certain que tout le monde veut un accès au statut de messagerie instantanée ? Certains utilisateurs n’aimeraient-ils pas se passer de ce truc et gagner de la place, puisqu’il est important de grappiller le moindre pixel (cf. plus haut) ?
What about theming and customisation?
One of the core goals of GNOME Shell is to provide the GNOME desktop with a consistent and identifiable visual identity. As a result, GNOME Shell provides a more limited set of customisation options than are provided by the GNOME 2 desktop. At the same time, the Shell designers recognise that customisation is important to some users. As a result, some facilities for customisation have been provided in the Shell, such as allowing launchers to be added to and rearranged in the dash.
Je crois que c’est le plus beau paragraphe. Non, vous ne pourrez pas personnaliser Gnome Shell, parce qu’il est plus important que Gnome Shell ressemble à Gnome Shell, quelle que soit la machine sur laquelle il est installé, que de vous permettre de le personnaliser, même si on sait que vous aimez ça. Mais comme on est sympas, vous pourrez quand même réorganiser les lanceurs dans l’accès rapide.
Alors déjà, choisir quels logiciels apparaissent et dans quel ordre dans un système d’accès rapide, c’est la moindre des choses. Parce que tout le monde n’utilise pas les mêmes logiciels. Il n’y a pas une version de Windows qui ait osé verrouiller la liste des logiciels en accès rapide, c’est dire si l’idée paraît crétine au premier abord.
Mais si c’est beau, c’est surtout parce que Gnome, pour rappel, est un des emblèmes du logiciel libre — avec GNU, Libre Office, KDE, Gimp et les outils Mozilla, entre autres.
Et pourquoi les gens utilisent-ils des logiciels libres, déjà ?
La liberté 1 de la définition de la Free Software Foundation parle de “étudier comment le logiciel fonctionne, et de le modifier pour lui faire faire ce que vous voulez”.
Alors certes, j’ai toujours la possibilité de modifier Gnome Shell pour lui faire faire ce que je veux : je peux télécharger, éditer et compiler son code source.
Mais ce que j’en retiens surtout, c’est que les amateurs de logiciels libres aiment personnaliser leurs outils. On le voit avec la quantité d’utilisateurs de Gnome qui choisissent Compiz comme gestionnaire de fenêtres, et avec les nombreux fans qui changent les couleurs de leur bureau.
Là, on a l’impression de lire un discours de Steve Jobs. Je suis le meilleur, j’ai fait les meilleurs choix et tout est parfait, donc je vois pas ce que vous voudriez améliorer, donc y’a pas besoin que vous puissiez ne serait-ce que changer la couleur.
Ben non. Si j’aime personnaliser mon ordinateur, c’est pour des questions pratiques (comme la gestion des fenêtres) et gustatives (les couleurs, la position des panneaux…). Et si Gnome a l’intention de me retirer ces possibilités, il me reste deux options : revenir à KDE ou passer à Xfce.