L’échange
|Entendu hier soir :
— Plusieurs sites Internet affirment que le colonel Kadhafi aurait financé votre campagne, en 2007, est-ce que c’est vrai ?
— Eh bien, dites-moi, s’il l’avait financée, j’aurais pas été très reconnaissant.
— Son fils, Saïf al-Islam, affirme que vous avez reçu de l’argent de la famille Kadhafi.
— Une référence morale sans doute. Je suis désolé pour vous que vous soyez la porte-parole du fils de Kadhafi. Franchement, je vous ai connue dans un meilleur, dans un meilleur rôle. Monsieur Kadhafi, qui est connu pour dire n’importe quoi, avait même dit qu’il y avait des chèques, et bien, que son fils les produise. C’est grotesque et je suis désolé que sur une grande chaîne comme TF1, on doive m’interroger sur les déclarations de Monsieur Kadhafi ou de son fils. Franchement…
— Touts les questions sont posées ce soir.
— Oh ça, je les accepte toutes mais toutes les réponses sont audibles. Quand on cite Monsieur Kadhafi, son fils, Monsieur Kadhafi qui est mort, son fils qui a du sang sur les mains, qui est un régime de dictateurs, d’assassins dont la crédibilité est zéro, et quand on reprend à leur compte, à son compte les questions qu’ils posaient, franchement, je pense que on est assez bas, dans le débat politique.
Il y a là plusieurs réflexions à se faire, à mon humble avis.
La première : Laurence Ferrari, qui pose les questions, a été d’une douceur impressionnante. Un mec qui m’envoie chier comme ça, personnellement, je lui demande aussi sec pourquoi il a accueilli en grandes pompes un individu “connu pour dire n’importe quoi” à la tête d’un “régime de dictature, d’assassins”. Au lieu de quoi, elle a laissé glisser et est passée à la suite.
La deuxième : Monsieur Sarkozy, qui répond aux questions, semble avoir oublié le rôle fondamental d’un journaliste. Le métier d’un journaliste est de chercher, croiser et vérifier une information pour la publier sous une forme claire et intelligible. Si un journaliste tombe sur une information comme “les Kadhafi auraient financé la campagne de Sarkozy”, aussi peu crédible soit la source, c’est son métier de vérifier l’information, notamment directement auprès des personnes concernées. Dans ces conditions, c’est ne pas poser cette question qui aurait été une faute.
La troisième : à une question inévitable, Monsieur Sarkozy répond par la boutade (“je ne serais pas très reconnaissant”, ah ah ah que c’est drôle), par l’absurde (“que son fils produise [les chèques]”, sachant que quand on remet un chèque, c’est la banque du destinataire qui peut éventuellement les produire, certainement pas l’émetteur) ou par la condescendance (“je suis désolé que vous soyez la porte-parole du fils de Kadhafi”). Bref, jamais il ne répond.
Pis, et quatrième : un journaliste est exactement le contraire d’un porte-parole. Son métier est en effet non de transmettre, mais de remettre en question toutes les affirmations qu’il entend. Dans ce cas précis, face à Sarkozy, le journaliste doit demander ce qu’il pense des affirmations de Kadhafi ; face à Kadhafi, il demanderait de même ce qu’il pense des dénégations de Sarkozy. À l’inverse, un porte-parole ne doit pas réfléchir ou chercher la vérité, mais resservir jusqu’à l’obsession le discours d’un autre, sans penser par lui-même. Bref, le journaliste utilise en permanence son esprit critique, alors qu’un porte-parole n’a pas le droit d’y recourir un seul instant. En conclusion, traiter un journaliste de porte-parole, c’est une injure, rien de moins.
Enfin, je note les critiques adressées à Ferrari. D’abord par sa direction, si l’on en croit Le Point ; cela confirmerait que Paolini ne dirige nullement une entreprise d’information, mais une boîte de communication, ce qu’on ne saurait qualifier de scoop étant donné le passif de la chaîne.
Ensuite par les internautes commentant les articles sur le sujet, chez qui manifestement Ferrari est encartée à gauche et incapable de taire son hostilité aux personnalités de droite en général et à Sarkozy en particulier.
Cette accusation, disons-le franchement, me laisse assez pantois, de même que le parallèle avec Audrey Pulvar lu çà et là. Pulvar n’a jamais caché ses sympathies gauchistes, et son discours était raccord avec icelles bien avant qu’elle ne rende publique sa relation avec Montebourg. À l’inverse, le discours, les intonations de Ferrari m’ont toujours incliné à la penser ancrée au centre, voire au gaullisme ; elle m’a toujours fait penser à Schönberg plutôt qu’à Pulvar.
(Au passage, en creusant un peu, je découvre qu’elle a démarré au Fig-Mag et au Point, avant de faire son trou à TF1 et Canal+, autant de rédactions qui n’ont pas la réputation d’être des nids de gauchistes, et que certains journaux l’ont soupçonnée d’avoir une liaison avec… Sarkozy, en 2007 !)
Je dis pas ça pour prendre la défense d’une consœur en détresse : Ferrari et moi n’avons jamais fait le même métier, même si nous avons le même genre de carte professionnelle dans la poche. Et puis, elle est assez grande pour se défendre elle-même.
En revanche, cet échange nourrit ma conviction : Sarkozy ne supporte pas la contradiction, et comme l’enquête contradictoire est la base du journalisme, il ne supporte pas les journalistes (le même commentaire explique son obsession de vouloir faire sauter le juge d’instruction, mais passons).
En tout cas, le fait de mépriser avec autant d’acharnement les gens dont le métier est la recherche de vérité me paraît éminemment suspect pour quelqu’un qui se flatte de transparence. La vérité, c’est que Sarkozy avait une façon simple de désamorcer la question, posée depuis plusieurs mois : publier l’intégralité de ses comptes de campagne 2007. Mais c’eût été trop simple, alors qu’il est tellement plus élégant d’insulter les journalistes qui ont l’outrecuidance de poser des questions…
Le fait que le public lui-même voie dans toute question répétée avec un tant soit peu d’insistance une forme d’agression partisane (que les anti-Sarkozy applaudissent et que les pro-Sarkozy démontent, dans le cas présent), laisse aussi rêveur : on ne peut donc pas avoir simplement l’honnêteté professionnelle de vouloir une réponse claire à une question qui se doit d’être posée ?
J’ai de plus en plus l’impression qu’un journaliste, pour une part croissante du public, est soit une lavette au service de ses invités, soit un partisan agressif. Il ne devient reconnu que lorsque, envoyé sur le terrain, il finit sous un obus syrien.
En somme, pour des raisons différentes, pour Sarkozy comme pour une part du public, un bon journaliste est un journaliste mort.