Nomophobie

C’est le néo­lo­gisme à la mode : nomo­pho­bie, pour “no mobile pho­bia”, désigne l’é­tat de gens qui angoissent si on les force à s’é­loi­gner de leur télé­phone mobile.

J’ai juste un petit problème.

D’a­bord, les gens qui me lisent régu­liè­re­ment le savent, je suis atta­ché à la cohé­rence des langues. Par exemple, je déteste cor­dia­le­ment “qua­dri­co­ptère”, qui est l’as­sem­blage aléa­toire et pro­fon­dé­ment fau­tif d’une racine latine (qua­dri, quatre), d’une racine grecque (ptère, aile), et d’une trace acci­den­telle de racine grecque (héli­co, hélice) : un “qua­dri­co­ptère” est un héli­co­ptère qua­dri­ro­tor. Je n’au­rais rien contre “tétra­ptère” ou “tétra­hé­li­co­ptère”, mais “qua­dri­co­ptère”, c’est vilain.

Donc, nomo­pho­bie, ça me plaît pas, puisque c’est un jeu de mots plus qu’un vrai mot. En plus, “no” et “mobile”, c’est du latin : en grec, ça serait “aki­no­pho­bie”, et en plus ça sonne mieux.

En plus, la “nomo­pho­bie” telle qu’elle est pré­sen­tée, c’est pas une pho­bie, c’est une angoisse. C’est de la même famille, mais une pho­bie est han­di­ca­pante dans la vie quo­ti­dienne : un ochlo­phobe, par exemple, peut rater un ren­dez-vous faute d’a­voir réus­si à ren­trer dans un train bon­dé ; un ago­ra­phobe n’ar­ri­ve­ra pas à tra­ver­ser une place, et ain­si de suite. Les “nomo­phobes”, eux, sont des angois­sés, qui peuvent véri­fier leurs por­tables toutes les deux minutes ; cela peut être une obses­sion com­pul­sive, mais rares sont ceux pour qui c’est une phobie.

(Au pas­sage, j’ai le même pro­blème avec “homo­pho­bie” ou “isla­mo­pho­bie”, qui confondent pho­bie et rejet : la racine “mis” serait bien plus adap­tée au pre­mier, et je sais pas dire “haine” en arabe donc je vous laisse cher­cher pour le second.)

Enfin, la nomo­pho­bie, ça pour­rait exis­ter. Nomo, en grec, c’est la loi, on le retrouve par exemple dans “auto­no­mie” (qu’on tra­dui­rait par “sa propre loi”).

La nomo­pho­bie, ce serait donc la pho­bie de la loi. Une inca­pa­ci­té psy­cho­lo­gique à gérer la loi, une peur par anti­ci­pa­tion d’être confron­té à la règle : voi­là ce que serait la nomo­pho­bie. Le nomo­phobe serait la per­sonne que le rap­pel à la loi, voire la simple exis­tence d’une règle, ren­drait incapable.

Donc, par pitié, évi­tez “nomo­pho­bie” pour un truc aus­si bateau que pas vou­loir perdre son portable.