Gérard…

Cher Mon­sieur Depardieu,

puisque c’est un sujet qui vous pas­sionne, par­lons argent : je vous paie depuis des années en allant voir vos films avec mes propres sous. Vous n’en avez cure mais, à des époques où il nous fal­lait une heure de route pour aller au ciné­ma et où cent francs étaient un bud­get à déblo­quer, nous regar­dions déjà des films, habi­tude que j’ai conser­vée lorsque j’é­tais étu­diant et vivais avec 2000 francs par mois en tout et pour tout, et je garde des sou­ve­nirs émus de Cyra­no de Ber­ge­rac, Ger­mi­nal, 36 quai des Orfèvres et autres.

Je paie éga­le­ment, plus indi­rec­te­ment il est vrai (par ma rede­vance télé­vi­suelle, mes impôts, les jour­naux et les livres que j’a­chète), des gens pour me four­nir des ana­lyses poli­tiques. Il se trouve que je les consi­dère comme plus com­pé­tents que vous pour cette tâche, parce que c’est leur métier et qu’ils ont été for­més (à l’é­cole ou sur le tas) pour cela. Je ne vous demande pas de vous sub­sti­tuer à eux, de même qu’il ne me vien­drait pas à l’i­dée de deman­der à Joseph Sti­glitz de décla­mer la Bal­lade du duel qu’en l’hô­tel bour­gui­gnon Mon­sieur de Ber­ge­rac eut avec un bélître.

En vous impro­vi­sant ana­lyste, par­don, pro­pa­gan­diste poli­tique, vous détour­nez une noto­rié­té que je vous ai don­née, que j’ai finan­cée par mon argent (ou par celui de mes parents) et mon temps, pour déver­ser jusque sur les Face­book de mes contacts votre bile amère de par­ve­nu égo­cen­trique. Moi, ciné­phile, j’ai finan­cé votre vie et ai fait de vous un indi­vi­du connu pour que vous puis­siez conti­nuer à m’é­mer­veiller au fil de films aus­si variés que L’ins­tinct de mort, Éli­sa, Jean de Flo­rette, La chèvre ou Ins­pec­teur la Bavure, par exemple. En uti­li­sant cette noto­rié­té à des fins mer­can­ti­lo-poli­tiques, vous réa­li­sez l’é­qui­valent moral d’un détour­ne­ment de fonds et ce, sur un fonds que JE vous ai confié.

Ces colonnes m’en sont témoin : je ne suis pas tendre avec cer­tains poli­ti­ciens qui détournent les pou­voirs que je leur confie. Je ne vois pas à quel titre je devrais tolé­rer que vous détour­niez la noto­rié­té que je vous ai confé­rée pour déli­vrer des opi­nions poli­tiques basées sur votre cas par­ti­cu­lier et la réflexion de votre porte-monnaie.

Mer­ci donc de reprendre l’ac­ti­vi­té pour laquelle j’ai inves­ti sur vous, ou de démis­sion­ner et retour­ner dans l’a­no­ny­mat des nous-autres — ceux qui, quelle que soit la qua­li­té de leurs argu­ments, ne peuvent qu’a­boyer dans le vent, faute d’a­voir la noto­rié­té que vous salissez.