La petite pompe du samedi

Aujourd’­hui, la pompe à dépêches a créé un nou­veau modèle d’a­vion : Pila­tus aurait un bimo­teur capable d’emporter des parachutistes.

Pila­tus ayant la par­ti­cu­la­ri­té, jus­te­ment, d’être un spé­cia­liste du mono­mo­teur (son PC-12 fut un des tous pre­miers avions d’af­faires mono­mo­teur homo­lo­gué, et à ma connais­sance le pre­mier dans la caté­go­rie à neuf places), ça étonne un peu : la marque n’a construit qu’un seul bimo­teur — pas un modèle, non, un avion, l’u­nique pro­to­type du PC‑8 — même si cela devrait chan­ger dès l’an­née prochaine.

Ce qui se passe est simple : un Pila­tus PC‑6 trans­por­tant des para­chu­tistes s’é­crase à proxi­mi­té de Tem­ploux, en Bel­gique. Un des témoins, cité par RTL, dit avoir vu “un avion (sans doute bimo­teur) perdre son aile droite en plein vol”. D’autres témoins indiquent que l’ap­pa­reil a pris feu à leur arri­vée. L’AFP, qui n’est plus à un rac­cour­ci près et n’a jamais appris à véri­fier un témoi­gnage, publie une dépêche disant : “Lorsque les pom­piers sont arri­vés, le bimo­teur “était en feu””.

C’est là que l’in­for­ma­tion est détruite : les “jour­naux”, enfin, disons plu­tôt les publi­ca­tions pré­ten­dant l’être, reprennent cette dépêche à l’i­den­tique, sans prendre le moindre recul ni se poser la moindre ques­tion. Pas un ne prend le temps de cher­cher quel avion cela peut être — il n’y a pour­tant pas des masses de clubs de para­chu­tisme dans ce coin et taper “para­chu­tisme Namur” dans Google envoie direc­te­ment ici, où l’on trouve de jolies pho­tos avec imma­tri­cu­la­tion lisible de OO-NAC, le PC‑6 écra­sé hier, et où l’on peut aisé­ment comp­ter le moteur.

(Bien enten­du, le fait qu’un jour­na­liste sachant encore moins lire que les autres ait indi­qué que l’ap­pa­reil était imma­tri­cu­lé 00-NAC, bien que le chiffre 0 ne soit pas uti­li­sé dans les imma­tri­cu­la­tions inter­na­tio­nales, n’a pas aidé, mais quand même, l’in­for­ma­tion n’é­tait vrai­ment pas dif­fi­cile à vérifier.)

On me dira peut-être qu’on se fout du nombre de moteurs d’un avion et que l’im­por­tant, ce sont les onze morts qu’a cau­sés cet acci­dent. Je répon­drai que oui, mais non.

L’im­por­tant, ici, c’est l’in­for­ma­tion et la manière dont elle est trai­tée par les gens dont elle devrait être le métier. J’en­tends beau­coup la presse se plaindre du désa­mour et du manque de confiance du public envers elle, et ce genre d’er­reur par­ti­cipe de cette défiance.

Mon dada, c’est l’aé­ro, et je ne vois presque plus pas­ser une actua­li­té aéro­nau­tique dans la presse géné­ra­liste sans lever les yeux au ciel à un moment ou à un autre. Je ne peux que sup­po­ser que les pas­sion­nés d’autres domaines y voient autant d’er­reurs et d’ap­proxi­ma­tions. Au fil des dis­cus­sions entre pas­sion­nés, une impres­sion se dégage inévi­ta­ble­ment : on ne peut pas faire confiance à la presse — et pire : les jour­naux s’en foutent, de l’in­for­ma­tion, puis­qu’on peut leur signa­ler une erreur sans qu’elle soit cor­ri­gée même après plu­sieurs jours.

Il est là, le drame. Il y a dix ans, per­sonne n’au­rait re-publié une dépêche AFP telle quelle, sans même la relire. Les jour­naux papier avaient des gens dont le métier était de rédi­ger à par­tir de dépêches (des rédac­teurs), et d’autres gens dont le métier était de véri­fier les infor­ma­tions four­nies (poser des ques­tions, ça fai­sait entre autres par­tie du bou­lot des secré­taires de rédac­tion). À l’é­poque, si une dépêche disait “C‑113”, il y avait au moins deux per­sonnes dont le bou­lot était de réécrire la phrase en moins moche et/ou de véri­fier que le C‑113 exis­tait ; si une dépêche disait que Top gun se dérou­lait dans l’Air Force, il y avait au moins deux types qui allaient se poser la ques­tion “tiens, ils ont des porte-avions, dans l’Air Force ?”.

Aujourd’­hui, chaque “jour­nal” a une armée de copieurs-col­leurs, dont le métier consiste à reprendre le plus vite pos­sible la dépêche AFP. Je me demande même s’ils n’ont pas car­ré­ment des robots pour ce faire, vu que ces der­niers temps je ne vois même plus de chan­ge­ments de mise en forme pour col­ler à la ligne du jour­nal (c’est tout bête, mais toutes les publi­ca­tions n’ont pas les mêmes habi­tudes en matière de lon­gueur de para­graphes). Les dépêches ne sont ni véri­fiées, ni même relues ; la qua­li­té de l’in­for­ma­tion qui en sort est abso­lu­ment catas­tro­phique, et ces gui­gnols qui se disent entre­prises de presse repro­duisent et étendent ce phénomène.

J’ai l’im­pres­sion qu’il y a une course à la rapi­di­té, que tous les cré­tins aux postes de direc­tion partent du pos­tu­lat que s’ils perdent de l’au­dience, c’est parce qu’ils ont publié trois secondes après le concur­rent et que le lec­teur zappe toutes les secondes d’un sujet à l’autre et n’at­tend jamais la troi­sième publication.

Pour­tant, dans tout ce bazar qui fonce droit dans le mur, je regarde pour ma part un truc tout bête : les reprises. Dans mes “amis” Face­book, j’ai un bon lot de jour­na­listes et appa­ren­tés, et plein de gens qui s’in­té­ressent à plein de choses. Et vous savez quoi ? Le conte­nu qu’ils reprennent, c’est pas celui que Le Monde, Libé­ra­tion, Le Point, L’Ex­press, Le Dau­phi­né libé­ré et consorts repompent sur l’AFP, AP et Reu­ters. Le conte­nu qu’ils reprennent, c’est du Rue89, du Arrêt sur images, etc.

Certes, mes amis ne sont pas repré­sen­ta­tifs de l’en­semble de la popu­la­tion (c’est prin­ci­pa­le­ment du classe moyenne, tren­te­naire ou qua­dra­gé­naire, sans enfant, diplô­mé de l’en­sei­gne­ment supé­rieur et un peu bobo sur les bords). Mais ce sont des gens qui lisaient la presse il y a dix ans ; des gens qui à la sor­tie des cours de la fac cau­saient actua­li­té en par­lant de l’ex­cellent article de Machin dans Le Monde ou de la tri­bune remar­qua­ble­ment argu­men­tée de Untel dans Marianne. Oui, on était déjà intel­los à la fac.

Ces mêmes gens, aujourd’­hui, font preuve d’une pru­dence bla­sée vis-à-vis des publi­ca­tions qu’ils croisent et pré­fèrent lire des blogs et des médias par­ti­ci­pa­tifs, et mettre en avant les rares maga­zines qui font encore un bou­lot journalistique.

La situa­tion est sans doute trop com­plexe pour dire “cher­chez pas, elle est là, la crise de la presse : fal­lait pas rem­pla­cer des jour­na­listes par des copieurs-col­leurs, et fal­lait miser sur la qua­li­té de l’in­for­ma­tion plu­tôt que sur la rapi­di­té de publication”.

Mais je suis convain­cu qu’une presse ne peut fonc­tion­ner que si ses lec­teurs ont envie de la lire ; or, l’en­vie néces­site d’a­bord la confiance. Et je ne vois pas com­ment faire confiance à quel­qu’un qui ne relit même pas la dépêche qu’il copie.

PS : quant à la presse qui fait ses propres articles mais en fai­sant du sen­sa­tion­nel à deux balles, comme cette attaque en règle contre le PC‑6 par un jour­na­liste de la RTBF qui n’a pas étu­dié l’a­vion, la façon dont il est uti­li­sé ni les sta­tis­tiques d’autres avions uti­li­sés dans des condi­tions simi­laires, j’hé­site aus­si à lui faire confiance…