Najat, rouvre donc tes Dalloz…

Je crois pas qu’on puisse m’ac­cu­ser de pas aimer Najat Val­laud-Bel­ka­cem. Je ne suis pas tou­jours d’ac­cord avec elle (par exemple, elle a la fâcheuse habi­tude de sou­te­nir Royal), mais je recon­nais que c’est une per­sonne intel­li­gente, qui coupe plu­tôt moins la parole à ses inter­lo­cu­teurs que beau­coup trop de ses confrères et qui a ten­dance à creu­ser un peu les sujets dont elle parle ; elle a aus­si eu l’hon­nê­te­té de ne pas être para­chu­tée pour les der­nières légis­la­tives et a quit­té la plu­part de ses man­dats lors­qu’elle a été appe­lée au minis­tère (même si elle a tou­jours un poste de de conseillère géné­rale, parce que bon, un poli­ti­cien fran­çais sans cumul, c’est pas cré­dible, s’pas ?). La liste de ses enne­mis plaide éga­le­ment lar­ge­ment en sa faveur et les insultes qu’ont pu lui adres­ser nos “amis” de la Manif pour tous sont autant de com­pli­ments à mes yeux. Et puis bon, j’ai beau prô­ner l’an­ti-sexisme, je peux pas renier mes gonades : elle est jolie et c’est tou­jours plus agréable d’a­voir affaire à elle qu’à, je sais pas, Rocard ou Montebourg.

Mais là, y’a quand même un truc qui passe pas.

Nico­las Sar­ko­zy ne dif­fame ni la gauche, ni le gou­ver­ne­ment. En met­tant en cause nos ins­ti­tu­tions, il dif­fame la France.

Najat Val­laud-Bel­ka­cem, mes­sage public sur Face­book le 21 mars à 14 h 18

Le pre­mier point, le plus évident : putain, mais sérieux, vous avez rien de mieux à foutre au gou­ver­ne­ment que de com­men­ter les saillies d’un indi­vi­du ? Il découvre de l’in­té­rieur ce que c’est que de faire l’ob­jet d’une enquête, et ça lui paraît brus­que­ment moins cool que quand il était “pre­mier flic de France”, j’ai juste envie de dire : “tant mieux pour lui !” Tous les mois ou presque, on lui découvre une nou­velle cas­se­role, et les juges semblent déci­dés à le consi­dé­rer comme un jus­ti­ciable lamb­da : très bien. Qu’il essaie de détour­ner l’at­ten­tion, hon­nê­te­ment, c’est de bonne guerre, ça res­semble un peu à l’a­gi­ta­tion déses­pé­ré d’une proie accu­lée ; ça m’ins­pire plus de pitié que de convic­tion et ça ne mérite, à l’é­che­lon natio­nal, qu’un bref haus­se­ment d’épaules.

Que des ministres s’a­baissent à l’at­ta­quer, ou à sim­ple­ment réagir, je suis déso­lé, mais ça m’af­flige. Najat, Jean-Marc et com­pa­gnie, je vous paie pour vous occu­per de la marche du pays, pas pour com­men­ter les ges­ti­cu­la­tions d’un de mes conci­toyens — fût-il ancien pré­sident de la République.

Le deuxième point, un poil plus sub­til mais beau­coup plus grave, jus­ti­fie que j’a­dresse ce billet plus par­ti­cu­liè­re­ment à Madame Val­laud-Bel­ka­cem. Je pré­cise d’a­bord qu’elle est juriste de for­ma­tion : elle est licen­ciée ès droit. Je vous le dis tout de suite, c’est ici une cir­cons­tance aggra­vante, parce qu’elle ne peut pas plai­der l’i­gno­rance : elle a pas­sé une par­tie de sa vie le nez dans les Dalloz.

La dif­fa­ma­tion, défi­nie à l’ar­ticle 29 de la loi du 29 juillet 1881 (qui fait par­tie des mes livres de che­vets, comme à tous mes confrères conscien­cieux), est “toute allé­ga­tion ou impu­ta­tion d’un fait qui porte atteinte à l’hon­neur ou à la consi­dé­ra­tion de la per­sonne ou du corps auquel le fait est impu­té”. La juris­pru­dence est très claire : sans fait impu­té, suf­fi­sam­ment pré­cis quant au fait lui-même et à ceux à qui il est impu­té, pas de diffamation.

Qu’a donc fait Mon­sieur Sar­ko­zy qui jus­ti­fie­rait cette accu­sa­tion ? Cela n’est pas pré­ci­sé, mais vue la date de publi­ca­tion, il est très hau­te­ment pro­bable qu’il s’a­gisse de la lettre que celui-ci a publiée dans Le Figa­ro, dans l’é­di­tion du 21 mars, que je viens du coup de lire inté­gra­le­ment (la lettre, pas l’é­di­tion du Fig, mon héroïsme a des limites).

Un pas­sage a beau­coup fait jaser :

Aujourd’­hui encore, toute per­sonne qui me télé­phone doit savoir qu’elle sera écou­tée. Vous lisez bien. Ce n’est pas un extrait du mer­veilleux film La Vie des autres sur l’Al­le­magne de l’Est et les acti­vi­tés de la Sta­si. Il ne s’a­git pas des agis­se­ments de tel dic­ta­teur dans le monde à l’en­droit de ses oppo­sants. Il s’a­git de la France.

Mon­sieur Sar­ko­zy n’im­pute qu’un fait : son télé­phone est écou­té. Et il l’im­pute à la jus­tice fran­çaise. Or… c’est une réa­li­té : son télé­phone est écou­té sur demande judi­ciaire, ce qui est une pro­cé­dure pas si extra­or­di­naire que ça. Ici, c’est l’ex­cep­tion de véri­té qui le pro­tège : ça n’est pas de la dif­fa­ma­tion, puisque c’est vrai. Il évoque la Sta­si ou des dic­ta­tures ? Certes, mais il les uti­lise comme méta­phores, il n’im­pute aucun fait.

Plus loin, on trouve une autre impu­ta­tion, visant le Syn­di­cat de la magistrature :

Ce syn­di­cat désor­mais célèbre pour avoir affi­ché dans ses locaux le tris­te­ment fameux «mur des cons», où j’oc­cupe une place de choix!

Là aus­si, de nom­breux articles de presse ont relayé cette réa­li­té : l’ex­cep­tion de véri­té est applicable.

Et. c’est. tout.

Pour le reste, quoi que l’on pense de la lettre de Mon­sieur Sar­ko­zy, il ne donne pas de fait pré­cis qui ne soit aisé­ment démon­trable. L’in­té­res­sé étant lui-même avo­cat, nul doute qu’il a por­té un grand soin à ce que rien, dans sa mis­sive, ne puisse prê­ter le flanc à une attaque judiciaire.

En par­ti­cu­lier, il ne parle nulle part de la gauche ou du gou­ver­ne­ment. Quant aux ins­ti­tu­tions, s’il cri­tique le fait que l’au­to­ri­té judi­ciaire écoute son télé­phone, il leur réitère au contraire sa confiance, et nulle part il n’at­taque la France.

En fait, si la dif­fa­ma­tion que Madame Val­laud-Bel­ka­cem dénonce était réelle, il serait aisé aux per­sonnes ou aux ins­ti­tu­tions concer­nées d’at­ta­quer, tout sim­ple­ment, Le Figa­ro (son direc­teur de publi­ca­tion plus pré­ci­sé­ment) et Mon­sieur Sar­ko­zy. Per­sonne ne le fait, parce qu’il est évident à qui­conque sait lire que la dif­fa­ma­tion n’est ici pas consti­tuée ; tout au plus peut-on voir dans la méta­phore de la Sta­si une injure.

Najat uti­lise donc ici un terme judi­ciaire sans fon­de­ment, ce qui me paraît la rendre éli­gible au prix Busi­ris et met un grand coup dans le res­pect que je lui porte.

Il y a pour­tant bien une dif­fa­ma­tion qui me paraît consti­tuée dans cette affaire. Allons, cher­chez bien… Qui impute un fait à quel­qu’un, sans que ce fait soit véri­fié, et porte ain­si atteinte à l’hon­neur de cette personne ?

Repre­nons, voulez-vous :

Nico­las Sar­ko­zy ne dif­fame ni la gauche, ni le gou­ver­ne­ment. En met­tant en cause nos ins­ti­tu­tions, il dif­fame la France.

Ah oui, là, on a tout : le fait (la dif­fa­ma­tion), l’at­teinte à l’hon­neur (c’est jamais relui­sant d’at­tri­buer un délit à quel­qu’un) et l’im­pu­ta­tion (“c’est Nico­las Sarkozy”).

Je vais aller plus loin : l’ex­cep­tion de véri­té ne me saute pas aux yeux — au contraire, rien dans les pro­pos récents de Mon­sieur Sar­ko­zy ne me paraît dif­fa­ma­toire. Je ne veux pas paraître pré­somp­tueux, mais mon sen­ti­ment per­son­nel est qu’en pré­ten­dant dénon­cer une dif­fa­ma­tion de Nico­las Sar­ko­zy, Najat Val­laud-Bel­ka­cem s’est elle-même ren­due cou­pable de dif­fa­ma­tion à son égard.

Et ça, c’est grave. D’a­bord parce qu’une ministre n’a pas à dif­fa­mer un citoyen. Ensuite parce qu’une juriste devrait jus­te­ment savoir faire preuve de réserve avant de lan­cer une accusation.

Enfin, bien sûr, parce que me voi­là presque en train de défendre Nico­las Sar­ko­zy, qui est un indi­vi­du que nul ne peut me soup­çon­ner d’aimer.