Représentation européenne

Vous savez peut-être que les élec­tions euro­péennes s’ap­prochent. Et qui dit élec­tions, dit débats.

Enfin, débat. Parce que bon, France Télé­vi­sions a déci­dé que les euro­péennes n’in­té­res­saient per­sonne et qu’il ne fal­lait pas leur don­ner trop de place, donc il n’y aura qu’un débat sur France 2, le 22 mai pro­chain. Et curieu­se­ment, plus que le pro­jet euro­péen lui-même, ce qui semble ali­men­ter les dis­cus­sions du moment, c’est… le choix des par­ti­ci­pants au débat.

Tout part de Cam­ba­dé­lis, invi­té en tant que pre­mier secré­taire du Par­ti socia­liste fran­çais, qui a pro­po­sé que Schulz, can­di­dat du Par­ty of Euro­pean socia­lists, l’y rem­place. Dans la fou­lée, Bay­rou (du Mou­ve­ment démo­crate, fran­çais) a envi­sa­gé de lais­ser son siège à Verhof­stadt (can­di­dat de l’Al­liance des démo­crates et des libé­raux pour l’Eu­rope). Leur argu­ment : un débat entre diri­geants de par­tis fran­çais “re-natio­na­li­se­rait” la cam­pagne des élec­tions euro­péennes (et Le Pen et Mélen­chon étant can­di­dats en plus d’être chefs de par­ti, ça serait inéquitable).

Les réac­tions n’ont pas man­qué, prin­ci­pa­le­ment à droite, pour reje­ter ces pro­po­si­tions. En pre­mier lieu : puisque nous éli­sons des dépu­tés fran­çais à l’as­sem­blée euro­péenne, c’est bien une élec­tion fran­çaise (et le PS essaie de noyer le pois­son en détour­nant l’at­ten­tion de la situa­tion du pays).

Voi­là.

J’en arrive là, et j’ai une question.

Juste une.

La voi­là :

quel cer­veau malade peut pen­ser qu’un truc bap­ti­sé “élec­tions euro­péennes” est un scru­tin français ?

Ils font quoi, au fait, les dépu­tés euro­péens ? Oh, pas grand-chose : ils votent des lois euro­péennes. Les­quelles sont, par la hié­rar­chie des normes, supé­rieures aux lois nationales.

Les dépu­tés euro­péens siègent au Par­le­ment euro­péen ; celui-ci n’est en France que par hasard et les déci­sions qu’il prend s’ap­pliquent aus­si bien à Malte, à Riga et à Dublin qu’à Paris. Com­ment peut-on dire qu’il s’a­git d’une élec­tion françaiss ?

En outre, pour la pre­mière fois, nous allons élire le pré­sident de la Com­mis­sion euro­péenne, qui cor­res­pond gros­so modo au gou­ver­ne­ment. Vous connais­sez Bar­ro­so ? À l’in­ter­na­tio­nal, c’est peu ou prou le visage de l’U­nion euro­péenne, l’é­qui­valent du pré­sident de la Répu­blique en France ou du pré­sident du Conseil en Ita­lie. Pour la pre­mière fois, c’est clair : chaque par­ti euro­péen a dési­gné un can­di­dat et celui qui l’emportera sera pré­sident de la Commission.

En somme, nous allons élire un pré­sident qui sera aus­si celui des Rou­mains, des Irlan­dais et des Por­tu­gais.

En véri­té, c’est simple : cette élec­tion est sans doute, depuis la créa­tion de l’U­nion euro­péenne, celle qui sera la moins nationale.

Reve­nons un peu sur l’ar­gu­ment “on vote pour des listes fran­çaises” ou “on élit des repré­sen­tants fran­çais”, avan­cés par les cré­tins qui veulent trans­for­mer l’U­nion euro­péenne en patch­work d’É­tats indépendants.

On vote pour des listes fran­çaises, comme pour les légis­la­tives on vote pour des listes locales. Il y a par­fois des aspi­rants dépu­tés qui sont ten­tés de dire un truc du genre : “non mais on s’en fout de ce qu’il se passe à l’é­che­lon natio­nal, vous devez choi­sir entre Machin et moi, ici, dans notre cir­cons­crip­tion, c’est ça qui importe”. Mais en réa­li­té, tout le monde regarde bien au delà : vers l’As­sem­blée natio­nale, sa com­po­si­tion et les lois qu’elle vote­ra. Notre dépu­té qui veut faire son élec­tion dans son coin, on a vite fait de lui rétor­quer : “oui, ben excuse-moi, mais ton débat per­son­nel avec Machin, on s’en fout, ce qu’on veut c’est que tel par­ti passe tel type de lois”.

Et d’ailleurs, ça ne dérange (qua­si­ment) per­sonne que dans la deuxième cir­cons­crip­tion de la Drôme, la télé­vi­sion dif­fuse un débat entre un socia­liste neuilléen, un gaul­liste man­ceau, une natio­na­liste héni­noise et un haran­gueur parisien.

Le même prin­cipe doit logi­que­ment s’ap­pli­quer. Nous n’é­li­sons pas des élus locaux, mais des dépu­tés euro­péens, qui ne seront pas char­gés de régler les pro­blèmes régio­naux mais de déci­der la loi com­mune à l’é­chelle conti­nen­tale (*sauf pour la Suisse ; offre sou­mise à condi­tions au Royaume-Uni ; Vati­can : nous consul­ter).

Nous trou­vons nor­mal d’in­ter­ro­ger des repré­sen­tants natio­naux plu­tôt que les res­pon­sables locaux pour une élec­tion jouée dans des cir­cons­crip­tions locales, mais inté­res­sant la conduite de la nation. Et pour une élec­tion jouée dans des cir­cons­crip­tions régio­nales, mais inté­res­sant la conduite du conti­nent, on vou­drait nous faire croire que les repré­sen­tants natio­naux sont les mieux placés ?

Non. J’é­lis des dépu­tés euro­péens et un pré­sident de la Com­mis­sion euro­péenne, je trouve nor­mal que viennent m’en par­ler des res­pon­sables euro­péens. Quitte à ce que, dans ma cir­cons­crip­tion de l’Île-de-France, la télé­vi­sion dif­fuse un débat entre un socia­liste nord-rhé­nan, un libé­ral-démo­crate fla­mand, une natio­na­liste nor­diste et une grande gueule francilienne.