La presse terroriste
|Je viens de regarder le 19–20. Près de 20 minutes sur l’attentat de St-Quentin-Fallavier, trois ou quatre minutes sur l’attentat de Sousse, une minute sur le reste de l’actualité, puis trois minutes de retour sur St-Quentin-Fallavier en évoquant Sousse au passage.
Moi, je me dis : un attentat terroriste, une explosion dans un site Seveso, les écoles fermées, ça doit être énorme. Ils étaient combien, y’a combien de morts ?
Un.
Ah.
Finalement, l’explosion devait pas être si violente, les mecs ont raté leur cible ?
Ah non, le mort a rien à voir avec l’explosion, il a été assassiné à part. Et la voiture a bien tapé là où on l’a conduite.
Ah.
Et l’explosion a fait beaucoup de dégâts ?
Ben, “y’a eu une forte déflagration” et “ma fille a eu peur”, nous renseignent les personnes interrogées dans la presse.
Bon, donc si je résume : on a un taré quelconque, manifestement pas super entraîné, qui a décapité son patron et foncé en voiture dans une usine.
Je sais, dit comme ça, ça fait vachement moins inquiétant. On a même l’impression que pendant la guerre des gangs qui secouait Grenoble il y a quelques années, il y a eu beaucoup plus violent beaucoup plus souvent, sans pour autant que ça secoue le pays (en fait, à l’époque, j’habitais à Grenoble, et même sur place ça a pas bouleversé notre quotidien). Du coup, jusqu’à plus ample informé, je me dis que si un brave chrétien avait fait la même chose en déposant les paroles du Notre père sur le cadavre, on l’aurait qualifié de déséquilibré isolé plutôt que de terroriste islamiste, et ça aurait fait trente secondes de bouche-trou à la rubrique des chiens écrasés.
Et là, je pose la question : c’est qui, le terroriste ?
Est-ce que c’est le type tout seul qui dit “je vais tous vous buteeeeer” et qui arrive à peine à tuer son patron et à faire sauter trois bouteilles de gaz ?
Est-ce que c’est la rédaction qui passe une demi-heure à répéter “regardez, encore un attentat, y’a plein de gens qui veulent buter tout le monde” ?
Le but de tous les terroristes est, par définition, de répandre la terreur, c’est-à-dire une peur irraisonnée d’un danger imaginaire ou surévalué. Quand une population doit faire face à un risque extrêmement élevé et vit dans une peur permanente, comme en temps de guerre, ça n’est pas du terrorisme : c’est un conflit. Quand une population fait face à un risque mineur et s’en fout, comme face aux crimes passionnels, ça n’est pas du terrorisme, c’est un fait divers. (Et quand une population fait face à un risque majeur et s’en fout, ça n’est pas du terrorisme, c’est le réchauffement climatique ou l’industrie du tabac, mais c’est pas le sujet.)
Le terrorisme, c’est une menace relativement mineure (soyons clair : quand on parle de quelques centaines de victimes par an dans un pays de la taille de la Tunisie ou de 3000 morts aux États-Unis, c’est une menace mineure, même si c’est évidemment dramatique pour ceux qui ce jour-là ont l’insondable malchance de servir de cible), mais une menace mineure construite et développée de manière à paraître majeure et à provoquer une peur permanente.
Que le crétin qui a foncé dans le tas à St-Quentin-Fallavier ait souhaité provoquer une peur majeure, c’est possible. Peut-être avait-il une volonté terroriste. Mais honnêtement, face au bilan comptable de l’opération, il est plus pathétique qu’effrayant.
Ceux qui répandent la peur, ce sont ceux qui donnent à ce crétin une importance qu’il n’a pas, ceux qui transforment cet épiphénomène en événement majeur, bref, ceux qui nous disent d’avoir peur.
Aujourd’hui, le terroriste n’est pas l’assassin qui a zigouillé son patron et jeté sa voiture dans un site classé Seveso. Ce sont les journalistes qui en parlent — ceux-là même qui, au contraire, devraient remettre les choses en perspective.