Seul sur Mars

de Andy Weir, 2011, ****

Mark Wat­ney est bai­sé. Pen­dant l’é­va­cua­tion d’une base mar­tienne en pleine tem­pête, l’an­tenne de com­mu­ni­ca­tion s’est effon­drée et l’a pro­je­té loin des cinq autres astro­nautes. Son moni­teur et sa radio per­son­nelle ont été détruits et, le pen­sant mort, ses cama­rades sont par­tis sans lui. Seul, bles­sé, avec au mieux six mois de nour­ri­ture devant lui et aucun moyen de s’é­loi­gner ne serait-ce que de quelques mètres de la sur­face, il est vrai­ment bai­sé. Seule solu­tion : bri­co­ler des patates, de la merde et du sol mar­tien pour faire plus de nour­ri­ture, bri­co­ler du car­bu­rant et un câble élec­trique pour avoir de l’eau, bri­co­ler un rover et une pile au plu­to­nium pour retrou­ver un moyen de com­mu­ni­ca­tion, bri­co­ler tout ce qu’il a et tout ce qu’il trouve et ten­ter de sur­vivre assez long­temps pour qu’une mis­sion de secours puisse le récupérer.

Un an et demi à jouer à Mac­Gy­ver tous les jours. Facile. On voit vrai­ment pas ce qui pour­rait mal tourner.

Andy Weir est génial. Bon, bien sûr, le récit pio­ché dans un jour­nal de bord est une vieille astuce per­met­tant à un roman­cier de se lais­ser la liber­té d’une issue tra­gique, et donc de main­te­nir arti­fi­ciel­le­ment le sus­pense pour le lec­teur. Bien sûr, le ton fami­lier et badin du jour­nal de Mark Wat­ney contraste un peu bru­ta­le­ment avec la situa­tion dans laquelle il se trouve, même si le rap­port de consti­tu­tion d’é­qui­page de la Nasa vient oppor­tu­né­ment rap­pe­ler que c’est le bla­gueur du lot, celui qui débite des conne­ries pour éva­cuer la pres­sion. Bien sûr, le chan­ge­ment de nar­ra­tion au milieu peut sur­prendre les habi­tués d’un récit clas­sique. Et bien sûr, l’in­tros­pec­tion sen­ti­men­tale n’est guère au pro­gramme du roman, ce qui déplai­ra sans doute aux ama­teurs de récits psychologiques.

Mais c’est là qu’An­dy Weir est génial : comme Mark Wat­ney dis­si­mule son stress et ses angoisses der­rière des vannes de col­lé­gien, Andy Weir planque l’hu­ma­ni­té der­rière les faits, décrit les carac­tères indi­rec­te­ment en mon­trant sim­ple­ment leurs réac­tions. Et sur­tout, c’est un vrai roman de science-fic­tion, qui se base sur l’ex­plo­ra­tion mar­tienne telle qu’elle est réel­le­ment envi­sa­gée, sur des pos­si­bi­li­tés tech­niques réflé­chies et recher­chées, et qui renonce aux res­sorts faciles genre “on dirait qu’on aurait une tech­no­lo­gie miracle pour ça”. Et Wat­ney n’est pas for­cé­ment un génie du bri­co­lage : mal­gré son diplôme d’in­gé­nieur, il foire plus d’une fois et se fout conne­ment dans la merde parce qu’il a pas fait gaffe à un détail. Du coup, les faits sont solides, la science est der­rière l’au­teur. Et pour un pinailleur dans mon genre, c’est très agréable (même si on note­ra que les effets de la tem­pête sont très exa­gé­rés : vu que la pres­sion atmo­sphé­rique sur Mars est proche de pas grand-chose, même un vent très cos­taud aura du mal à abattre une plate-forme de lancement).

C’est donc quelque part un vrai roman pour geeks qui est pro­po­sé ici, qui ravi­ra ceux qui sup­portent mal les approxi­ma­tions scien­ti­fiques de la SF clas­sique, ceux qui ont subi la fin des années dis­co et les redif­fu­sions de Hap­py days, ceux que les errances psy­cho­lo­giques ennuient, ceux qui ont vu tout Mac­Gy­ver et qui en rede­mandent, bref, ceux qui sont câblés un peu comme moi. (Il paraît que des gens nor­maux ont aimé aus­si, rassurez-vous.)