La grande usurpation
|En France, le peuple est souverain.
Certes.
Le problème de cette théorie, c’est que le peuple, c’est soixante-cinq millions de personnes ; et soixante-cinq millions de souverains, ça pose quelques petits problèmes de gouvernance. Du coup, on a adopté une souveraineté indirecte : au lieu d’exercer eux-mêmes le pouvoir, les souverains le sous-traitent à une poignée d’individus, chargée de prendre les décisions qu’ils souhaiteraient prendre. Pour les distinguer des souverains classiques qui exercent eux-mêmes la totalité du pouvoir, on appelle “citoyens” les souverains qui délèguent. Et pour les distinguer des exécutants qui appliquaient les décisions d’un souverain absolu, on appelle les délégataires des “élus”. Les citoyens élisent des élus, retenez bien ces mots. Les élus sont donc les garants de la volonté des citoyens, qu’ils défendent avec conviction, grandeur et acharnement.
Ce beau principe a un énorme biais : les élus se retrouvent en possession du pouvoir confié, et n’ont pour être honnête pas grand-chose pour les empêcher d’en faire ce qu’ils veulent. Or, faire ce qu’on veut du pouvoir, c’est agréable. La protection contre l’abus de pouvoir, outre l’équilibre entre différents élus exerçant différents pouvoirs cher à Montesquieu, c’est l’élection : si un élu méprise trop la volonté du peuple, les citoyens vont élire un autre représentant et éliminer le malfaisant du paysage.
Le grand objectif des élus, c’est donc de conserver le pouvoir en s’assurant d’être régulièrement réélus. La solution de faire ce que veulent les citoyens ne marche pas toujours très bien (le peuple français est d’humeur variable et aime à honnir un jour ceux qu’il adulait la veille) ; les élus ont donc recours à d’autres stratégies pour rester élus. La plus efficace de celles-ci s’appelle le parti politique, inspiré par William Tweed :
Peu m’importe qui vote, tant que je peux choisir les candidats.
J’exagère un peu. Le parti politique, en principe, est conçu pour réunir des gens partageant une idée ou un projet politique et leur permettre de s’organiser, de débattre et préciser leurs idées, de faire connaître leur projet et de convaincre leurs concitoyens pour, en fin de compte, trouver et faire élire les citoyens les plus à même d’appliquer leur projet.
Mais un parti, c’est une réunions de gens. Et on sait comment sont les réunions de gens : les influences, le charisme et la séduction jouent au moins autant que les compétences et l’application. Les candidats aux élections soutenus par les partis sont donc un peu toujours les mêmes, ceux qui au sein de ces partis ont le plus d’influence et de séduction, et pas toujours les plus compétents pour effectivement prendre les décisions correspondant à la volonté du peuple.
Le problème, c’est que du coup, le premier élu déçoit le peuple. Le deuxième élu, également, en vertu du même principe. Le troisième, de même, et ainsi de suite. Cependant, au sein des partis, les candidats désignés ont généralement conservé leur influence ; ils sont donc à nouveau désignés par les militants. Chaque parti envoie donc à l’élection un candidat choisi par ses militants, tout en sachant pertinemment que ce candidat a d’ores et déjà déçu la majorité des citoyens.
Le résultat est simple : la majorité des citoyens veut changer de candidats, mais aucun n’en obtient effectivement un nouveau.
Vous me direz : “mais pourquoi le peuple, alors, ne vote-t-il pas pour d’autres candidats ?”
C’est simple : les partis sont des machines puissantes qui unissent beaucoup de militants, assurant ainsi à leurs candidats une quantité importante de voix. Les candidats qui ne sont pas soutenus par un parti ne peuvent pas réunir le soutien de suffisamment d’électeurs pour passer devant ceux qui portent des idées proches et sont soutenus par un parti puissant. Seuls les candidats n’ayant pas d’équivalent dans les partis peuvent effectivement arriver à se faire entendre : c’est comme ça qu’on se retrouve avec des illuminés façon Cheminade à deux élections présidentielles. Mais pour les vraies personnes réellement susceptibles d’appliquer efficacement la volonté des citoyens, les partis sont essentiellement devenus un outil d’usurpation : il permettent à des élus ayant déjà fait la preuve de leurs limites de se maintenir artificiellement au pouvoir.
Pour mettre fin à cette situation, il faut inventer un nouvel outil. Un outil qui permettrait de fédérer les citoyens qui dispersent leurs parts de souveraineté entre plein de candidats indépendants, pour au contraire les unir et leur permettre de faire passer de nouveaux candidats devant ceux imposés par les partis.
C’est là qu’on arrive à Democratech et à La Primaire, dont je vous reparlerai bientôt.
Ah oui, si vous pensiez arriver à une conclusion, désolé : tout ce (déjà long) billet n’est qu’une introduction.