La grande primaire
|Vous avez sans doute lu ce billet où, il n’y a pas si longtemps, l’expliquais que les partis politiques n’étaient plus des outils de promotion d’idées politiques, mais d’usurpation du pouvoir. Vous avez peut-être également survolé celui-ci, où j’indiquais comment une primaire prétendue ouverte, censée donner au peuple la possibilité de choisir ses candidats, s’était transformée en superbe plébiscite que n’aurait pas renié l’URSS de la grande époque. Tous deux concluaient sur le même ton : intéressons-nous à La Primaire. Après avoir exploré le problème, il est donc temps de voir ce qui pourrait être un élément de solution.
L’idée de La Primaire est simple : faire une vraie élection ouverte. Par “ouverte”, on entend évidemment que tout le monde peut y voter (au contraire des primaires des partis, souvent réservées à leurs militants ou à un cercle plus ou moins large de sympathisants) et que tout le monde peut s’y présenter (au contraire des primaires des partis, strictement réservées à leurs dirigeants historiques).
Le problème, si tout le monde peut être candidat (enfin, peut-être pas le chien), logiquement, c’est que n’importe quel taré peut l’être. C’est pour ça que dans les élections, il y a des mécanismes destinés à s’assurer du sérieux des candidats : pour se présenter aux élections présidentielles, par exemple, il faut réunir une liste de cinq cents parrainages d’élus de la République. Bien sûr, la plupart des élus étant liés aux partis politiques, ce mécanisme a tendance à favoriser les gens déjà bien implantés dans les partis et à handicaper les candidats indépendants, mais il a fait ses preuves pour éviter des candidatures farfelues. Il n’est donc guère possible d’utiliser ce système lors d’une élection : chaque citoyen devrait ainsi choisir entre quelques dizaines, voire centaines, voire milliers de candidats, dont un certain nombre de frappadingues et sans doute énormément de propositions très proches.
Une solution intermédiaire serait donc de permettre à tout le monde de se présenter à une primaire, avant l’élection proprement dite. Le rôle de la primaire serait ainsi de s’assurer que les candidats ont une base représentative solide et de sélectionner ceux que les citoyens trouvent les plus intéressants, avant de les laisser croiser le fer au cours des deux tours classiques.
Très compliqué, direz-vous. Il faut des bureaux de vote, des bulletins, des gens pour surveiller les bureaux et dépouiller les bulletins, des structures pour faire remonter les décomptes…
Et bien là, mes enfants, il se trouve qu’on a inventé un truc super. Ça s’appelle Internet et la quasi-totalité de la population française y a désormais accès. Grâce à Internet, il est possible à tout un chacun de voter tranquillement depuis chez lui, ou chez un pote, ou dans la rue, ou dans le tramway, ou même au bureau. Jusqu’à très récemment, La Primaire s’appelait Démocratech, mot-valise basé sur démocratie et technologie : l’idée est d’utiliser la technologie pour rendre le pouvoir au peuple.
Ainsi, à La Primaire, chacun peut être citoyen ou candidat. Au lieu de recevoir l’adoubement d’élus de la République, rouages de l’appareil des partis, la validation des candidatures viendra des citoyens eux-mêmes : La Primaire se déroulera en deux temps, avec d’abord une phase de validation (où les candidats les plus délirants devraient logiquement être éjectés par la vigilance citoyenne), puis une phase de sélection.
Le vainqueur de cette primaire pourra ainsi se présenter aux élections présidentielles, avec l’assurance du soutien d’un certain nombre d’électeurs (tous les citoyens ayant participé ne voteront sans doute pas pour lui, mais il devrait pouvoir compter sur ceux qui auront déjà voté pour lui lors de La Primaire), une “légitimité” déjà validée par le peuple, et sans doute déjà les cinq cents parrainages lui permettant de se présenter — si quelques dizaines de milliers de personnes ont déjà adoubé un candidat, les maires ont des chances d’être réceptifs à l’argument.
Tout cela est bon et beau, mais cela reste sacrément théorique. Comment donc La Primaire compte-t-elle affronter la réalité ? Et en particulier, qui seront les malheureux citoyens chargés de départager les centaines de candidats lors de la première sélection ? Ça sera l’objet d’un prochain billet.