Le grand échantillonnage
|Après avoir vu pourquoi les partis politiques sont des instruments du diable, je vous présentais l’idée du moment : une vraie primaire ouverte, où tous les citoyens pouvaient être candidats et où les candidats seraient sélectionnés par les citoyens.
Le principe est beau et généreux, mais il pose un problème grave, majeur et sérieux : si on a mille candidats, comment faire ? On ne peut pas demander à tous les citoyens de se taper mille professions de foi, surtout quand on voit après chaque élection qu’ils ont déjà du mal à en feuilleter une dizaine.
On le peut d’autant moins que sur les mille candidats, il y a sans doute un lot d’idées farfelues, allant d’utopies genre “mon projet est de tout arrêter, sauf les usines de nouilles, et de prendre le temps de réfléchir à ce qui est vraiment important” à des délires imbitables style “mon projet est de créer l’euro-franc polytechnique, chaque pays disposant de son euro autonome, nécessaire tremplin vers un avenir productif national et international”. On ne va pas obliger d’honnêtes citoyens à se pourrir le cerveau avec des tels pensums.
L’autre problème, c’est que nombre de programmes vont être extrêmement similaires ; si vous aviez du mal à choisir entre Laguiller et Besancenot ou entre Chirac et Balladur, imaginez ce que ça peut donner avec une dizaine de candidats présentant le même fonds !
La première idée est bien entendu de faciliter le regroupement de candidats, afin que les gens ayant des programmes identiques puissent se retrouver, se mettre d’accord et choisir un porte-voix efficace. Vous dites ? Ça ressemble à un parti politique ? Oui, sauf qu’ici rien n’empêche un citoyen de voter quand même pour un autre : l’influence du “pseudo-parti” se limite à choisir son représentant, il n’a pas le pouvoir de marginaliser les autres candidats.
Mais voilà, on a toujours potentiellement quelques centaines de candidats : ceux qui n’ont pas voulu s’allier, ceux qui ont des idées trop originales, ceux qui veulent juste être candidats pour le fun de l’écrire sur leur CV… Il va donc falloir trouver une solution pour présenter un nombre restreint d’options à chaque citoyen, tout en permettant à tous ceux qui le souhaitent de se présenter.
Compliqué, non ?
C’est là que des outils précieux viennent à la rescousse : les statistiques.
Au premier tour de la Primaire, l’idée est de ne pas proposer tous les candidats à tous les citoyens, mais seulement un panachage aléatoire. Chaque citoyen aurait, par exemple, le choix entre dix candidats, qui ne seraient pas les mêmes que le citoyen suivant. Et plutôt que d’avoir une voix pour choisir son unique candidat préféré, il en aurait dix, permettant de valider les candidatures ou non, voire d’exprimer une préférence (cinq pour son candidat favori, trois pour son chouchou en second, deux pour valider deux autres candidats intéressants, par exemple).
Déjà, certains candidats n’auront ainsi quasiment aucune voix, ce qui permettra d’éliminer aisément ceux qui se prennent pour des gourous, ceux qui sont incapables d’aligner deux mots, ceux qui veulent organiser un suicide collectif, ceux qui ne comprennent pas qu’ils ne comprennent rien, ceux qui veulent revenir à la théocratie catholique, ceux qui ont déjà été présidents de la République, et Jacques Cheminade. (Oui, il m’a vraiment traumatisé, celui-là.)
Ensuite, se pose la question de la qualification pour le second tour. Là, c’est plus compliqué : comment s’assurer que les sélectionnés sont bien les favoris de l’ensemble des citoyens, et non ceux qui ont eu un tirage au sort favorable en affrontant neuf fois sur dix des candidats délirants ?
C’est ici que les statistiques entrent en jeu. Il y a un calcul, que les instituts de sondage connaissent bien mais que j’ai oublié depuis 1999, qui permet de connaître la probabilité qu’un échantillonnage de ce type soit représentatif de l’ensemble de la population étudiée. Il permet d’estimer, par exemple, une marge d’erreur à 99 % : “si 30 % des gens ont voté pour Untel, alors il y a 99 % de chances que, chez l’ensemble des citoyens, plus de 28 % et moins de 32 % votent pour lui”.
Comment resserrer la marge d’erreur ou augmenter le taux de fiabilité (ça revient en fait au même) ? Le secret est simple : il faut beaucoup de citoyens. Cette masse permet de multiplier les combinaisons, et d’assurer que chaque candidat ait été présenté équitablement face à des candidats solides et face à des jean-foutre, et que tous ces choix aient été proposés à des citoyens de tout bord, de toute affinité et de tout niveau intellectuel. Pour un projet comme la Primaire, en supposant qu’il y ait quelques centaines de candidats et qu’on en présente une dizaine à chaque citoyen, la masse critique se compte en dizaines de milliers de citoyens ; c’est aussi pour ça que les pères du projet espèrent réunir plus de 100 000 électeurs, ce qui permettrait d’obtenir des résultats assez fiables, assurant que le classement des candidats à l’issue du premier tour soit réellement représentatif de celui qu’on aurait obtenu en exigeant de chaque citoyen de se taper tous les candidats.
Combien seront conservés pour le second tour ? C’est une autre question. Pour bien faire, ce nombre lui-même dépend de la marge d’erreur du premier tour : plus elle est importante, plus il faut ratisser large pour être sûr de ne pas éliminer un candidat intéressant. C’est aussi pour cela qu’il est important qu’une masse populaire soit prête à voter à la Primaire.