Le grand échantillonnage

Après avoir vu pour­quoi les par­tis poli­tiques sont des ins­tru­ments du diable, je vous pré­sen­tais l’i­dée du moment : une vraie pri­maire ouverte, où tous les citoyens pou­vaient être can­di­dats et où les can­di­dats seraient sélec­tion­nés par les citoyens.

Le prin­cipe est beau et géné­reux, mais il pose un pro­blème grave, majeur et sérieux : si on a mille can­di­dats, com­ment faire ? On ne peut pas deman­der à tous les citoyens de se taper mille pro­fes­sions de foi, sur­tout quand on voit après chaque élec­tion qu’ils ont déjà du mal à en feuille­ter une dizaine.

On le peut d’au­tant moins que sur les mille can­di­dats, il y a sans doute un lot d’i­dées far­fe­lues, allant d’u­to­pies genre “mon pro­jet est de tout arrê­ter, sauf les usines de nouilles, et de prendre le temps de réflé­chir à ce qui est vrai­ment impor­tant” à des délires imbi­tables style “mon pro­jet est de créer l’eu­ro-franc poly­tech­nique, chaque pays dis­po­sant de son euro auto­nome, néces­saire trem­plin vers un ave­nir pro­duc­tif natio­nal et inter­na­tio­nal”. On ne va pas obli­ger d’hon­nêtes citoyens à se pour­rir le cer­veau avec des tels pensums.

Avec Jacques Cheminade et Michel Debré en guest-stars.
Pri­maire ouverte sans tri (ver­sion ultra-simplifiée).

L’autre pro­blème, c’est que nombre de pro­grammes vont être extrê­me­ment simi­laires ; si vous aviez du mal à choi­sir entre Laguiller et Besan­ce­not ou entre Chi­rac et Bal­la­dur, ima­gi­nez ce que ça peut don­ner avec une dizaine de can­di­dats pré­sen­tant le même fonds !

La pre­mière idée est bien enten­du de faci­li­ter le regrou­pe­ment de can­di­dats, afin que les gens ayant des pro­grammes iden­tiques puissent se retrou­ver, se mettre d’ac­cord et choi­sir un porte-voix effi­cace. Vous dites ? Ça res­semble à un par­ti poli­tique ? Oui, sauf qu’i­ci rien n’empêche un citoyen de voter quand même pour un autre : l’in­fluence du “pseu­do-par­ti” se limite à choi­sir son repré­sen­tant, il n’a pas le pou­voir de mar­gi­na­li­ser les autres candidats.

Mais voi­là, on a tou­jours poten­tiel­le­ment quelques cen­taines de can­di­dats : ceux qui n’ont pas vou­lu s’al­lier, ceux qui ont des idées trop ori­gi­nales, ceux qui veulent juste être can­di­dats pour le fun de l’é­crire sur leur CV… Il va donc fal­loir trou­ver une solu­tion pour pré­sen­ter un nombre res­treint d’op­tions à chaque citoyen, tout en per­met­tant à tous ceux qui le sou­haitent de se présenter.

Com­pli­qué, non ?

C’est là que des outils pré­cieux viennent à la res­cousse : les statistiques.

Au pre­mier tour de la Pri­maire, l’i­dée est de ne pas pro­po­ser tous les can­di­dats à tous les citoyens, mais seule­ment un pana­chage aléa­toire. Chaque citoyen aurait, par exemple, le choix entre dix can­di­dats, qui ne seraient pas les mêmes que le citoyen sui­vant. Et plu­tôt que d’a­voir une voix pour choi­sir son unique can­di­dat pré­fé­ré, il en aurait dix, per­met­tant de vali­der les can­di­da­tures ou non, voire d’ex­pri­mer une pré­fé­rence (cinq pour son can­di­dat favo­ri, trois pour son chou­chou en second, deux pour vali­der deux autres can­di­dats inté­res­sants, par exemple).

Déjà, cer­tains can­di­dats n’au­ront ain­si qua­si­ment aucune voix, ce qui per­met­tra d’é­li­mi­ner aisé­ment ceux qui se prennent pour des gou­rous, ceux qui sont inca­pables d’a­li­gner deux mots, ceux qui veulent orga­ni­ser un sui­cide col­lec­tif, ceux qui ne com­prennent pas qu’ils ne com­prennent rien, ceux qui veulent reve­nir à la théo­cra­tie catho­lique, ceux qui ont déjà été pré­si­dents de la Répu­blique, et Jacques Che­mi­nade. (Oui, il m’a vrai­ment trau­ma­ti­sé, celui-là.)

Ensuite, se pose la ques­tion de la qua­li­fi­ca­tion pour le second tour. Là, c’est plus com­pli­qué : com­ment s’as­su­rer que les sélec­tion­nés sont bien les favo­ris de l’en­semble des citoyens, et non ceux qui ont eu un tirage au sort favo­rable en affron­tant neuf fois sur dix des can­di­dats délirants ?

Premier tour avec sélection aléatoire (version simplifiée).
Pre­mier tour avec sélec­tion aléa­toire (ver­sion simplifiée).

C’est ici que les sta­tis­tiques entrent en jeu. Il y a un cal­cul, que les ins­ti­tuts de son­dage connaissent bien mais que j’ai oublié depuis 1999, qui per­met de connaître la pro­ba­bi­li­té qu’un échan­tillon­nage de ce type soit repré­sen­ta­tif de l’en­semble de la popu­la­tion étu­diée. Il per­met d’es­ti­mer, par exemple, une marge d’er­reur à 99 % : “si 30 % des gens ont voté pour Untel, alors il y a 99 % de chances que, chez l’en­semble des citoyens, plus de 28 % et moins de 32 % votent pour lui”.

Com­ment res­ser­rer la marge d’er­reur ou aug­men­ter le taux de fia­bi­li­té (ça revient en fait au même) ? Le secret est simple : il faut beau­coup de citoyens. Cette masse per­met de mul­ti­plier les com­bi­nai­sons, et d’as­su­rer que chaque can­di­dat ait été pré­sen­té équi­ta­ble­ment face à des can­di­dats solides et face à des jean-foutre, et que tous ces choix aient été pro­po­sés à des citoyens de tout bord, de toute affi­ni­té et de tout niveau intel­lec­tuel. Pour un pro­jet comme la Pri­maire, en sup­po­sant qu’il y ait quelques cen­taines de can­di­dats et qu’on en pré­sente une dizaine à chaque citoyen, la masse cri­tique se compte en dizaines de mil­liers de citoyens ; c’est aus­si pour ça que les pères du pro­jet espèrent réunir plus de 100 000 élec­teurs, ce qui per­met­trait d’ob­te­nir des résul­tats assez fiables, assu­rant que le clas­se­ment des can­di­dats à l’is­sue du pre­mier tour soit réel­le­ment repré­sen­ta­tif de celui qu’on aurait obte­nu en exi­geant de chaque citoyen de se taper tous les candidats.

Com­bien seront conser­vés pour le second tour ? C’est une autre ques­tion. Pour bien faire, ce nombre lui-même dépend de la marge d’er­reur du pre­mier tour : plus elle est impor­tante, plus il faut ratis­ser large pour être sûr de ne pas éli­mi­ner un can­di­dat inté­res­sant. C’est aus­si pour cela qu’il est impor­tant qu’une masse popu­laire soit prête à voter à la Primaire.