Baleine ≠ whale

Il y a une chose que j’ai lais­sée de côté dans mon compte-ren­du concer­nant Au cœur de l’o­céan : la traduction.

J’i­gnore ce que ça donne en ver­sion fran­çaise, mais dans la ver­sion sous-titrée, j’ai noté plu­sieurs appa­ri­tions du mot “baleine”, sachant que bien enten­du on ne parle que de cacha­lots dans le film.

Je vou­drais donc mettre un grosse note à tous nos cama­rades tra­duc­teurs, un truc tout bête, vous allez voir :

baleine ≠ whale

Vous vous four­rez ça dans le crâne un bonne fois pour toutes, ça vous évi­te­ra de vous ridi­cu­li­ser (et non, le fait que le pre­mier tra­duc­teur de Mel­ville ait com­mis l’er­reur avant vous ne vous excuse en rien).

Pour faire une petite démons­tra­tion, j’ai pris une ving­taine d’es­pèces emblé­ma­tiques de céta­cés, triées par taille et par groupe (à gauche, les mys­ti­cètes, qui ont des fanons et deux évents ; à droite, les odon­to­cètes, qui ont des dents et un seul évent). Puis j’ai obser­vé la répar­ti­tion des noms, en anglais et en français.

Exemples de cétacés. Cadres verts : "whale" ; cadres rouges : "dolphin". Fond vert foncé : "baleine" ; vert pâle : "rorqual" ; orange : "cachalot" ; rouge : "dauphin". D'après Chris Huh, CC-BY-SA
Exemples de céta­cés. Cadres verts : “whale” ; cadre rouge : “dol­phin”. Fonds vert fon­cé : “baleine” ; vert pâle : “ror­qual” ; orange : “cacha­lot” ; rouge : “dau­phin”. Pro­fils de Chris Huh, CC-BY-SA

En anglais, je connais­sais le prin­cipe géné­ral, mais je ne m’at­ten­dais pas à ce que la démons­tra­tion soit aus­si claire (je pen­sais qu’il y avait une zone grise où on trou­vait des “whale” et des “dol­phin” mélan­gés) : “whale” est une ques­tion de taille. De taille, et rien d’autre. Tout ce qui dépasse ou approche la taille du petit ror­qual (Minke whale), de la baleine pyg­mée (pyg­my right whale), du bélu­ga (white whale) ou du dau­phin pilote (pilot whale) a au moins un nom en “whale” ; tout ce qui est en des­sous s’ap­pelle exclu­si­ve­ment autre­ment, à la notable excep­tion des cacha­lots nain et pyg­mée (dwarf sperm whale et pyg­my sperm whale) et de l’orque pyg­mée (pyg­my killer whale), qui gardent le nom de leur cou­sin plus spec­ta­cu­laire — prin­cipe valable dans les deux langues.

En fran­çais, on dis­tingue clai­re­ment trois grands groupes : tous les petits odon­to­cètes, à l’ex­cep­tion éton­nante des mar­souins et à celle plus com­pré­hen­sible des nar­vals, ont au moins un nom inté­grant “dau­phin” (qui ne recoupe pas tout à fait l’an­glais “dol­phin”, les dau­phins pilotes attei­gnant une taille suf­fi­sante pour être des pilot whales). Les mys­ti­cètes à gorge rayée s’ap­pellent “ror­quals” et les mys­ti­cètes à gorge lisse s’ap­pellent “baleines”. Les ror­quals ont géné­ra­le­ment aus­si un nom en “baleine”, à l’ex­cep­tion du ror­qual com­mun. Il n’y a en fran­çais qu’un seul et unique groupe d’o­don­to­cètes qui s’ap­pelle “baleine”, les baleines à bec ; presque toutes ces espèces ont un autre nom plus propre, mais ça fait plein de mots sup­plé­men­taires à apprendre (tas­ma­cète, méso­plo­don, bérardie…).

Note impor­tante : “baleine blanche”, “baleine tueuse” et “baleine pilote”, qu’on trouve par­fois dans la lit­té­ra­ture, sont tout autant des erreurs de tra­duc­tion, les termes bélu­ga, orque et dau­phin pilote étant cou­ram­ment uti­li­sés depuis fort long­temps. “Baleine tueuse” est non seule­ment fau­tif, mais ambi­gu, puis­qu’on le trouve à la fois pour l’orque (mau­vaise tra­duc­tion de l’an­glais killer whale) et pour le cacha­lot (influence mal digé­rée des pas­sages de Moby Dick où Ismaël par­lait des cacha­lots tueurs).

Main­te­nant, si vous vou­lez bien com­prendre à quel point les Anglais séparent tota­le­ment la notion de “whale” de celle de “baleine”, je vous pro­pose de regar­der un mot com­po­sé : baleen whale, qui désigne l’en­semble des mys­ti­cètes (comme l’ex­pres­sion “céta­cés à fanons” en fran­çais). On trouve de même l’ex­pres­sion “too­thed whales”, qui paraît tota­le­ment anti­no­mique si on fait par­tie des incultes qui croient que “baleine” se tra­duit habi­tuel­le­ment par “whale”.