Baleine ≠ whale
|Il y a une chose que j’ai laissée de côté dans mon compte-rendu concernant Au cœur de l’océan : la traduction.
J’ignore ce que ça donne en version française, mais dans la version sous-titrée, j’ai noté plusieurs apparitions du mot “baleine”, sachant que bien entendu on ne parle que de cachalots dans le film.
Je voudrais donc mettre un grosse note à tous nos camarades traducteurs, un truc tout bête, vous allez voir :
baleine ≠ whale
Vous vous fourrez ça dans le crâne un bonne fois pour toutes, ça vous évitera de vous ridiculiser (et non, le fait que le premier traducteur de Melville ait commis l’erreur avant vous ne vous excuse en rien).
Pour faire une petite démonstration, j’ai pris une vingtaine d’espèces emblématiques de cétacés, triées par taille et par groupe (à gauche, les mysticètes, qui ont des fanons et deux évents ; à droite, les odontocètes, qui ont des dents et un seul évent). Puis j’ai observé la répartition des noms, en anglais et en français.
En anglais, je connaissais le principe général, mais je ne m’attendais pas à ce que la démonstration soit aussi claire (je pensais qu’il y avait une zone grise où on trouvait des “whale” et des “dolphin” mélangés) : “whale” est une question de taille. De taille, et rien d’autre. Tout ce qui dépasse ou approche la taille du petit rorqual (Minke whale), de la baleine pygmée (pygmy right whale), du béluga (white whale) ou du dauphin pilote (pilot whale) a au moins un nom en “whale” ; tout ce qui est en dessous s’appelle exclusivement autrement, à la notable exception des cachalots nain et pygmée (dwarf sperm whale et pygmy sperm whale) et de l’orque pygmée (pygmy killer whale), qui gardent le nom de leur cousin plus spectaculaire — principe valable dans les deux langues.
En français, on distingue clairement trois grands groupes : tous les petits odontocètes, à l’exception étonnante des marsouins et à celle plus compréhensible des narvals, ont au moins un nom intégrant “dauphin” (qui ne recoupe pas tout à fait l’anglais “dolphin”, les dauphins pilotes atteignant une taille suffisante pour être des pilot whales). Les mysticètes à gorge rayée s’appellent “rorquals” et les mysticètes à gorge lisse s’appellent “baleines”. Les rorquals ont généralement aussi un nom en “baleine”, à l’exception du rorqual commun. Il n’y a en français qu’un seul et unique groupe d’odontocètes qui s’appelle “baleine”, les baleines à bec ; presque toutes ces espèces ont un autre nom plus propre, mais ça fait plein de mots supplémentaires à apprendre (tasmacète, mésoplodon, bérardie…).
Note importante : “baleine blanche”, “baleine tueuse” et “baleine pilote”, qu’on trouve parfois dans la littérature, sont tout autant des erreurs de traduction, les termes béluga, orque et dauphin pilote étant couramment utilisés depuis fort longtemps. “Baleine tueuse” est non seulement fautif, mais ambigu, puisqu’on le trouve à la fois pour l’orque (mauvaise traduction de l’anglais killer whale) et pour le cachalot (influence mal digérée des passages de Moby Dick où Ismaël parlait des cachalots tueurs).
Maintenant, si vous voulez bien comprendre à quel point les Anglais séparent totalement la notion de “whale” de celle de “baleine”, je vous propose de regarder un mot composé : baleen whale, qui désigne l’ensemble des mysticètes (comme l’expression “cétacés à fanons” en français). On trouve de même l’expression “toothed whales”, qui paraît totalement antinomique si on fait partie des incultes qui croient que “baleine” se traduit habituellement par “whale”.