Indemnités prud’homales : si on plafonnait tout ?
|On pensait la question réglée, mais voilà qu’elle revient : les représentants des entreprises semblent très déçus qu’il ne soit plus question de plafonner les indemnités prud’homales en cas de licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse. Leur argument est toujours le même : les prud’hommes pourraient accorder des indemnités délirantes mettant en danger l’entreprise, donc l’employeur a peur d’avoir à licencier un employé, donc l’employeur n’embauche pas, l’économie est bloquée, ah la la c’est bien triste ma brave dame mais tout ça c’est la faute aux prud’hommes.
Il y a un truc que personne ne semble avoir mis en évidence : on parle ici d’indemnités accordées par les prud’hommes. Donc, du cas où les prud’hommes requalifient un licenciement.
Pour en arriver là, il faut trois conditions. La première est bien sûr un licenciement. La deuxième est que l’employé, mécontent de celui-ci, décide d’attaquer son (ancien) employeur pour faire requalifier le licenciement. La troisième est que les prud’hommes donnent raison à l’employé.
Première remarque : tous les employés licenciés ne demandent pas la requalification. D’abord, beaucoup passent à autre chose, soit qu’ils estiment eux-mêmes le licenciement justifié, soit qu’ils aient obtenu des indemnités suffisantes à leur goût, soit qu’ils n’aient ni le temps ni l’énergie de se lancer dans la procédure. Parmi les cas qui finissent aux prud’hommes, un certain nombre visent juste à faire verser une indemnité de licenciement ou à obtenir un montant plus élevé, par exemple pour compenser des primes de fin d’année perdues ; ceux-là ne cherchent pas forcément à faire requalifier le licenciement. En toute logique (c’est pas systématiquement la réalité, mais bon), les cas où l’employé demande la requalification sont ceux où il estime être victime d’un licenciement abusif : par exemple, l’employeur l’a licencié pour faute parce qu’il refusait de faire une tâche non prévue au contrat de travail, l’employé estime qu’il avait le droit de refuser et qu’il n’a donc pas commis de faute, il demande aux prud’hommes de qualifier le licenciement “sans cause réelle et sérieuse”. C’est uniquement de ce cas que l’on parle actuellement.
Deuxième remarque : pour que l’employeur ait à verser ces fameuses indemnités pour licenciement abusif sans cause réelle et sérieuse, il faut donc non seulement que l’employé ait demandé la requalification du licenciement, mais également que les prud’hommes lui aient donné raison, autrement dit que l’employeur ait été en tort.
C’est essentiel parce que là, on ne parle plus du tout d’une procédure normale. L’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse n’est pas de la même nature que l’indemnité pour licenciement économique, par exemple : licencier parce que l’activité n’est plus soutenable peut faire partie de la vie normale d’une entreprise, sans que personne soit en faute. L’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est, elle, une condamnation suite à un abus. Elle n’est pas une indemnité pour un accident, mais un dédommagement du préjudice dû à une faute.
On peut estimer que, le rôle d’un salaire étant aussi d’assurer la sécurité financière de l’employé, il est du rôle de l’entreprise d’indemniser ceux qu’elle licencie pour leur permettre de se retourner. C’est ainsi que l’on a décidé que, au bout de n années dans une entreprise, la suppression de ce revenu régulier valait m euros d’indemnités.
En revanche, dans le cas de l’indemnité de licenciement dans cause réelle et sérieuse, c’est une autre histoire : le mauvais comportement de l’employeur entraîne un préjudice pour l’employé. La logique veut qu’on indemnise ce préjudice ; or, qui peut décider par avance qu’un préjudice ne peut dépasser telle ou telle somme ?
Imaginons que le même principe soit adopté dans tous les domaines judiciaires : on aurait un plafond d’indemnisation pour tous les types de dommages et intérêts. Votre voisin vous a mis une gifle ? Feuilletons dans un Dalloz, voilà, page 827 du Code des Indemnités Forfaitaires, une gifle c’est 500 €. Suite à cette gifle, vous êtes tombé dans l’escalier, vous vous êtes fracturé le bassin et vous avez plusieurs milliers d’euros de frais ainsi qu’une invalidité partielle définitive ? Désolé monsieur, une gifle, c’est 500 €. Je suis certain que les assurances responsabilité civile adoreraient qu’on ait un système de ce genre.
Un licenciement abusif peut avoir des répercussions spécifiques sans commune mesure avec le seul fait de perdre son emploi. Surtout si un licenciement abusif se base sur l’allégation d’une faute dans un petit univers professionnel. Imaginez une seconde qu’un comptable soit viré pour faute sur l’accusation d’avoir tapé dans la caisse : à chaque fois qu’il postulera dans une autre entreprise, celle-ci va demander le le motif du licenciement, et choisir un candidat qui n’aurait pas cette casserole.
Si, deux ans plus tard, les prud’hommes jugent que l’employeur n’avait aucune preuve de malversation et requalifient le licenciement, ce n’est pas juste la perte d’emploi qu’il convient d’indemniser : notre comptable a également perdu deux ans d’opportunités professionnelles, il a une réputation à reconstruire, il n’a pas été formé aux dernières évolutions de son domaine et sa candidature a du coup moins de valeur. Et encore, je ne compte pas le préjudice moral d’une accusation sans fondement, l’impact familial et éventuellement les relations de voisinage, bref, les conséquences hors du domaine professionnel, qui ne sont pas forcément négligeables non plus. Tout cela, parce que l’employeur l’aura licencié abusivement.
Plafonner l’indemnité, c’est dire : “quel que soit l’impact que le licenciement a eu sur vos revenus, votre respectabilité, votre employabilité, votre moral, bref, votre vie, tout cela ne vaudra jamais plus de n mois de salaire”. Il faut vraiment avoir érigé le cynisme au rang d’art majeur pour tenter de justifier une telle limitation.