L’injure
|Où est la cohérence démocratique quand on serait prêt à additionner ses voix avec la droite ? Pour moi, être frondeur et additionner ses voix à la droite, c’est pas être juste frondeur, c’est être un député de droite, tout simplement.
Que dit Myriam El Khomri ?
Si on se débarrasse des arguments du moment et qu’on en revient à la signification fondamentale de cette sortie, elle dit un truc très simple : “si vous n’êtes pas avec moi, vous êtes avec eux”.
Ça me frappe d’autant plus que, ayant quelques contacts Facebook encartés au PS (ou proches du parti), c’est un argument que j’ai vu passer plusieurs fois, sous différentes formes, avec toujours le même fond : critiquer l’utilisation du troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution, c’est être de droite.
Dans l’univers binaire des individus qui utilisent ce raisonnement, il y a deux camps : le leur, et l’ennemi. Il n’y a pas de place pour la critique, pas de place pour le désaccord, sans tomber dans le camp ennemi.
Je vais le redire une bonne fois : je ne suis pas de droite. Mon parcours politique n’a pas toujours été simple, j’ai historiquement voté par conviction de la gauche molle à l’extrême gauche en passant par les écolos, j’ai été tenté de voter pour certains centristes, j’ai refusé de voter à gauche et ai préféré voter blanc dans certaines circonstances (élections magouillées par des candidats parachutés ou des retraits de candidatures négociés, circonscription considérée par son député comme une propriété personnelle fonctionnant à coups de faveurs, etc.), mais une chose est sûre : je ne suis pas de droite, je ne l’ai jamais été, et la seule fois où j’ai voté pour un candidat de droite, j’avais la double excuse que c’était ma première présidentielle et que l’autre candidat était borgne¹.
M’accuser d’être de droite, c’est une injure, rien de moins.
Je veux le dire et le répéter : on peut être d’accord avec quelqu’un sur beaucoup de points, mais avoir un unique point de désaccord suffisamment fondamental pour vouloir mettre fin à toute relation.
Je ne suis pas de droite, je n’accuse pas El Khomri d’être de droite (soyons honnête : pour Macron et Valls, ça m’arrive). Mais au delà des douze mille éléments sur lesquels nous sommes d’accord, il y a un point fondamental qui fait que je ne peux me résoudre à cette loi, même si ça veut dire faire sauter le gouvernement : il n’est en aucun cas acceptable qu’un accord d’entreprise lui permette de se soustraire à un droit accordé par une convention collective ou par la Loi. C’est une condition bloquante, sur laquelle je refuse toute transaction.
On peut aimer quelqu’un de toute son âme, trouver une personne belle, intelligente, amusante, aimer sa façon d’être, sa voix, son odeur, constater que c’est le meilleur coup qu’on ait jamais eu, et néanmoins rompre parce qu’on ne supporte absolument pas sa façon de laver les vitres². Bon, évidemment, le gouvernement actuel ne remplit pas tous ces critères et il y a longtemps que notre idylle a pris fin, mais vous saisissez l’idée.
L’inversion de la hiérarchie des normes, pour moi, c’est ce point de blocage (il y en a en fait un autre : le plafonnement des indemnités pour licenciement abusif, depuis remplacé par un barème indicatif que je trouve déjà absolument honteux). Je ne peux pas accepter ce point, et c’est un élément suffisant pour que je préfère mettre fin à l’activité de ce gouvernement plutôt que de le voir adopté.
Voter la motion de censure déposée par la droite, ça n’est pas être de droite ; c’est juste vouloir faire obstacle à un élément bloquant par tous les moyens, quitte à faire sauter le gouvernement. On ne vote pas une loi parce qu’on est de tel ou tel camp, on vote une loi parce qu’on pense qu’elle est dans l’intérêt général ; de même, adopter une motion de censure ne signifie pas qu’on rejoint celui qui l’a déposée, mais qu’on estime que l’intérêt général l’impose. C’est justement ça, la cohérence démocratique — et ça n’a jamais été de suivre bêtement les coups de fouet des coordinateurs de groupe³, qui est au contraire l’abandon de la démocratie au profit de la doctrine partisane.
Me dire que, parce que je pense que ce gouvernement aurait dû sauter avec la loi Macron et qu’il aurait encore dû sauter avec la loi El Khomri, je suis de droite, c’est non seulement une injure à mes convictions, mais également une injure à l’intelligence.
Estimer que si on la vote, c’est qu’on est de droite, c’est estimer qu’on est soi-même la seule et unique personne qui décide qui est de gauche et qui ne l’est pas. C’est vivre dans un confortable univers binaire où tout ce qui n’est pas allié indéfectible et sans critique est un ennemi. Oser dire une chose pareille, ou pire l’écrire comme l’ont fait certains de mes contacts Facebook, c’est montrer qu’on n’a rien compris à la vraie vie, qui est faite de nuances, de paradoxes et de compromis. Comment, avec une telle vision des choses, peut-on prétendre exercer une responsabilité quelconque ?
¹ Ce n’est évidemment pas pour cette raison que je voulais voter pour l’autre, c’est juste pour que vous puissiez le reconnaître sans que je salisse cette page en écrivant son nom.
² Je prends un argument un peu débile, parce que mon propos n’est pas de prouver que j’ai raison de refuser l’inversion de la hiérarchie des normes, mais d’expliquer que j’ai le droit de trouver que ce point n’est pas négociable.
³ “Whip” en anglais, fonction qu’occupait Francis Underwood — et il était très bon, ce qui montre qu’être un gros connard psychopathe va bien avec le poste.