Voter contre
|En 2012, au détour d’un très long test hélas disparu du web, je m’apercevais que, plutôt qu’un classement par affinités, un classement par élimination donnait une meilleure idée de mes goûts politiques — l’exemple parlant était, à l’époque, celui de Poutou, avec qui j’avais une relativement bonne affinité idéologique, mais pour qui je n’avais jamais envisagé de voter à cause d’une poignée de points de son programme avec lesquels j’étais absolument, totalement et définitivement en désaccord.
Aujourd’hui, je lis qu’un ancien président de la République est de nouveau candidat. Selon un sondage, environ quatre citoyens sur cinq ne voudraient pas de lui. Cependant, au sein de son parti, il conserverait une majorité d’opinions favorables, et sa présence à l’élection présidentielle est fort probable ; il n’est même pas exclu qu’il parvienne à se faire élire à nouveau.
Comment donc, dans un système réputé démocratique, un candidat détesté par 79 % des électeurs (enfin, détesté par 54 % et juste pas aimé par 25 %), peut-il avoir une vraie chance d’être élu ?
La réponse tient en deux mots : haine générale.
Le candidat que l’autre grand parti traditionnel devra sélectionner sera, très probablement, lui aussi rejeté par 80 % du corps électoral : c’est à peu près la cote d’impopularité de l’actuel président et du premier ministre — et il est peu probable que leur parti n’envoie pas l’un des deux à l’élection.
La candidate souvent en troisième position ces derniers temps sera également honnie de sept à huit Français sur dix, c’est une chose qui ne change pas depuis vingt ans. Néanmoins, elle a une chance réelle de rééditer l’exception paternelle.
Les autres candidats potentiels ne sont pas autant haïs : au centre, le type aux oreilles en chou-fleur, à sa droite le chauve expert en traversée du désert, à gauche du président le tribun rétrograde ou les petits énervés, tous ceux-là ont des cotes d’impopularité bien plus faibles ; mais ils n’ont pas non plus le même corps de fidèles, le même appareil de parti, la même base inaliénable pour les envoyer tranquillement en tête des élections.
J’ai fait un rêve
Là, je me mets à fantasmer : et si, au lieu d’un bulletin spécifiant quel candidat on veut élire, on avait un bulletin spécifiant le candidat que l’on ne veut absolument pas voir élu ?
Reprenons : ces derniers temps, les candidats (déclarés ou supposés) multiplient les déclarations agressives et les attaques débiles. Ainsi, ils complaisent aux 20–25 % qui voteront pour eux. Cela renforce aussi énormément deux rangs : ceux qui les détestent et voteront pour quelqu’un d’autre (mais ils se disperseront entre plein de candidats dont aucun n’aura la base fixe d’un grand parti, donc on s’en fout), et ceux qui arrivent à “tous les mêmes” et iront faire autre chose le jour de l’élection (mais ils ne sont pas comptabilisés, donc on s’en fout aussi).
Concrètement, le fait qu’on vote “pour” favorise les candidats les plus à même de se constituer un noyau dur de fans indiscutables au sein de leur parti, peu importe qu’ils se fassent au passage haïr de l’immense majorité de la population.
Si le peuple votait par élimination, l’intérêt des candidats serait évidemment de faire haïr leurs confrères ; mais ils devraient surtout de ne pas déplaire eux-mêmes. Tous ceux qui se font détester de 80 % des électeurs seraient politiquement morts ; ceux qui font beaucoup moins de vagues, qui ont un tempérament moins agressif et un discours plus rassembleur, ne serait rejetés que par quoi, 40, 50, 60 % des gens ? En tout cas, ils ne seraient pas éliminés aussi définitivement et pourraient espérer être élus.
Si nous voulons avoir un jour un président un peu moins impopulaire, c’est sur ceux-là qu’il faut miser : ceux qui savent ne pas monter les gens les uns contre les autres, ceux qui savent ne pas construire la haine, ceux qui vont rassembler une large base pas forcément très convaincue, mais prête à jouer le jeu.
Or, pour que ceux-ci puissent être élus, l’urgence, c’est de désigner les plus haïssables pour les éliminer à coup sûr.