Avec ou sans volets ?
|C’est la question du jour : faut-il laisser les volets sortis ou les rentrer dès que possible lorsqu’on pose un avion sur une piste courte ? Ça commence hier, lorsque Jason Schappert publie une vidéo sur les atterrissages courts. (Au passage, il parle un peu moins vite que d’habitude : le trafic lui a fait rallonger son trajet, donc sa vidéo, donc son phrasé. C’est mieux pour les anglophones occasionnels.)
Et à la fin, il pose son Cessna 172 et précise :
Si vous avez le temps et que vous y pensez, rentrez également les volets.
Bon, il le fait un peu tard, lorsque l’avion est déjà bien posé et ralenti, mais c’est compréhensible étant donné qu’il doit simultanément faire et expliquer ce qu’il fait.
Mais ce point précis a été relevé par nombre de commentateurs. Deux en particulier ont attiré mon attention hier soir :
Vous ne devriez pas rentrer les volets qui vous aident à ralentir. Vous devriez faire ça seulement après avoir dégagé la piste.
TupolevPilot
TupolevPilot les freins sont plus efficaces que le freinage aéro mais limités par le poids sur les pneus. Vous rentrez les volets pour mettre un maximum de poids sur les roues pour une efficacité maximum du freinage.
Greg Amidon
Qui a raison ?
Je vais vous la faire version normande : les deux, et aucun des deux.
En fait, deux principes s’opposent ici.
D’une part, les volets augmentent la portance, c’est leur fonction principale. Or, le poids de l’avion lors de l’atterrissage est réparti entre les ailes et le sol : si la portance est augmentée, l’avion appuie moins sur les roues. Il est alors plus facile de les bloquer et leur freinage est moins efficace. Rentrer les volets immédiatement après le toucher permet de réduire rapidement la portance, d’appuyer fort sur les roues et donc de freiner fort.
Les avions de ligne ont une méthode encore plus radicale : lorsque le train d’atterrissage touche le sol, ils sortent tous les spoilers d’un coup, transformant l’aile en gros trou avec un coefficient de portance situé quelque part entre celui d’une clef de 12 et celui d’un cadre photo Kodak. Ainsi, ils transfèrent d’un coup leurs quelques dizaines de tonnes directement sur les roues, qui peuvent freiner avec efficacité même sur une piste mouillée.
Mais les volets ne font pas qu’augmenter la portance.
Ils augmentent aussi la traînée. Autrement dit, ils freinent eux-même l’appareil. On s’en sert d’ailleurs beaucoup lorsqu’on doit faire une descente un peu pentue. À Moisselles et au Plessis-Belleville, où les tours de piste sont un peu serrés, sur les 152 du club, on sort souvent 20° de volets dès la base, ce qui permet de perdre rapidement de l’altitude sans que l’avion prenne de vitesse.
En principe donc, rentrer les volets aide à freiner avec les roues, mais les laisser sortis freine naturellement.
Quel principe gagne ? Ça dépend de l’appareil et du type de volets. Les volets à fente (pensez “Spitfire” par exemple) sont relativement peu efficaces : ils ne font gagner que peu de portance et traînent énormément. Les volets Fowler (avions de ligne, mais aussi Cessna 150, 170 et apparentés) sont beaucoup plus efficaces : ils augmentent beaucoup la portance et relativement peu la traînée. Je dis bien “relativement” : tous ceux qui ont remis les gaz avec un Cessna 150 chargé et 40° de volets ont eu l’impression d’avoir une armoire normande sous chaque aile !
En première approximation, on peut donc penser que sur un avion équipé de volets à fente, les laisser sortis ne réduit pas énormément l’efficacité du freinage mécanique, donc autant profiter du freinage aérodynamique ; sur un avion équipé de volets Fowler, les freins des roues sont beaucoup moins efficaces jusqu’à une vitesse très réduite et il est plus utile de rentrer les volets tôt.
RTFM !
En fait, juste avant l’atterrissage, Jason Schappert dit un truc beaucoup plus important que personne n’a relevé : “know your POH”. POH, c’est “pilot’s operations handbook”, le document qui compile toutes les procédures de l’appareil.
S’il y a une conclusion à retenir, c’est bien celle-ci : prenez le manuel de votre avion, lisez-le, relisez-le.
Inutile de le connaître par cœur, mais si vous voulez faire une approche propre (et un bon atterrissage commence toujours par une bonne approche), vous devez connaître les vitesses recommandées et les procédures à chaque étape. Et pas en “grosso modo”.
“On va viser 60 kt au seuil”, c’est une bonne règle pour un atterrissage ordinaire avec un Cessna 152, mais le manuel précise que pour l’atterrissage aux performances maximales, c’est 54 kt. Les six nœuds de plus, ce sont eux qui vont vous faire faire 200 m dans l’effet de sol — pas gênant si la piste fait 800 m, mais dramatique si vous devez vous arrêter au plus court. Évidemment, vous viserez 60 kt au quotidien, parce que ça vous donne une petite marge en plus en cas de turbulence ou de cisaillement en finale, mais il faut que vous sachiez quelle vitesse viser le jour où vous aurez besoin que le plan se déroule sans accroc.
Idem pour les volets : si votre manuel ne dit pas de les rentrer, oubliez-les et concentrez-vous sur autre chose — sur le PS28, par exemple, la commande des volets est assez mal fichue et la roulette de nez n’est pas synchronisée : occupez-vous de vos pieds et ne vous embêtez pas avec ça. Mais si le manuel dit de les rentrer, entraînez-vous à faire des atterrissages en les rentrant, ça sera un réflexe bien utile le jour où vous serez coupé par un “vapor lock” et où vous vous poserez sur un bout de 200 m entre deux virages d’une départementale.