Retraites : un système juste ?
|Vous en avez peut-être entendu parler : notre gouvernement veut faire un nouveau système de retraites, “plus lisible, plus juste et plus simple”, selon la description d’Édouard Philippe, Premier ministre. Son principe fondamental serait, toujours d’après lui :
Chaque euro cotisé par chaque Français, quel que soit son statut, offrira les mêmes droits.
Ce que le haut commissariat aux retraites résume ainsi :
Bien bien.
Ce système est simple et lisible. Tu paies x euros de cotisations, tu touches y euros de retraite mensuelle. En plus, si chaque euro cotisé donne les mêmes droits, ça veut dire que la relation entre x et y est proportionnelle, on fait pas plus lisible et guère plus simple.
Mais est-il juste ?
Et bien…
Dans une logique de pur capitalisme, oui.
La retraite du capital
Pour un pur capitaliste, la cotisation est un investissement qui paie sa retraite. Un investissement, un retour sur investissement proportionnel, c’est juste.
C’est un truc que j’ai peu entendu : la réforme, telle qu’elle est présentée par Philippe, n’est pas libérale1, mais purement capitaliste.
Le capitalisme est-il juste ?
Euh, vite, que quelqu’un aille brancher une dynamo sur la tombe de Keynes ! À chaque fois que quelqu’un se pose juste la question, il se retourne en sursaut.
La logique capitaliste n’est pas juste au sens social du terme, tout simplement parce que la puissance d’investissement des uns n’est pas celle des autres. Les cotisations retraite d’un présentateur du 20 h de TF1 n’ont rien à voir avec celle d’un reporter de la même antenne, même s’ils ont à peu près le même parcours, le même âge, les mêmes études, la même durée de travail, la même convention collective. L’un aura une retraite nettement supérieure, juste parce qu’il avait un revenu nettement supérieur.
Dire qu’un tel système est juste, c’est dire que “tu seras riche parce que tu es riche” est le fondement de la justice.
Quel serait donc un système juste ?
Ouh là, y’a débat.
La retraite médicale
Bon, pour commencer, y’a la logique de survie. C’est celle de Philippe Bas, par exemple :
La retraite est faite pour substituer aux revenus du travail un autre revenu, parce que vous ne pouvez plus travailler, ça n’est pas raisonnable de vous faire continuer à travailler.
Voilà. Pour lui, la seule justification de la retraite, c’est l’impossibilité de travailler quand on est trop vieux.
En faire, le système de retraite de Philippe Bas, c’est celui des tribus sauvages. Les humains valides vont chercher la bouffe ou faire pousser des trucs. Et lorsque les vieux n’arrivent même plus à se lever pour cueillir des baies, les jeunes leur refilent une partie des trucs qu’ils ont trouvés pour pas qu’ils crèvent de faim, parce que bon, c’est bête, mais les vieux, on s’y attache quand même au bout d’un moment.
Alors bien sûr, vu comme ça, le système actuel est absurde : il n’est pas normal qu’il y ait un âge de départ à la retraite. C’est un examen médical qui devrait déterminer à quel moment il n’est plus raisonnable de vous faire travailler. C’est le critère de justice de Philippe Bas : tu n’es pas ou plus en état, voilà ta pension. Et l’objectif de cette pension est la survie : elle doit donc logiquement être forfaitaire, avec éventuellement une petite majoration si t’es une mamie gâteau qui a toujours été sympa avec tes petits-enfants et un gros malus si t’es un vieux con qui rossait tes gosses.
Est-ce juste ?
Oui, si on part du principe que l’État doit te prendre en charge quand tu ne peux pas gagner ta croûte. Par contre, c’est un poil cynique : tu es donc censé travailler jusqu’à avoir un pied dans la tombe, merci.
Notons que ce système peut tout à fait fonctionner pour le chômage, la maladie, le handicap, etc. Il est juste (à sa façon), simple, lisible ET polyvalent. Quelque chose me dit pourtant que Philippe Bas lui-même ne souhaite pas le mettre en place — j’ai rarement vu un sénateur renoncer à sa retraite pour préférer le minimum vieillesse.
La retraite bien méritée
On peut aussi estimer qu’on “mérite” sa retraite, en travaillant. C’est la logique d’Oscar, vous savez, le grand-père de Renaud :
Vers 65 ans, on lui a dit : “bonhomme, t’as assez bossé, repose-toi un peu”.
Ici, la retraite est la récompense d’un travail passé. Si on a suffisamment travaillé, on a droit à la retraite.
Autrement dit, une fois une certaine durée de travail atteinte, la retraite est acquise. Et pis c’est tout. Pour avoir plus, il faut travailler plus longtemps — par exemple, les heures supplémentaires ou un départ plus tardif pourraient entraîner une bonification de la pension.
Est-ce juste ?
Oui, si on part du principe que les tous les emplois se valent.
Mais un certain nombre d’indices laissent à penser que tous les emplois ne se valent pas.
Par exemple, ils ne sont pas tous payés pareil. Ou bien, certains sont généralement considérés comme plus pénibles que d’autres. Certains entraînent beaucoup plus d’accidents du travail ou de maladies professionnelles. Certains aussi imposent plus de responsabilités : ça n’a pas les mêmes conséquences de foirer une tâche si on est garçon de bureau chez Spirou, pilote de ligne ou gardien d’une arme nucléaire. Certains enfin sont plus utiles que d’autres : une grève des éboueurs ou des urgentistes est un problème immédiat pour la société, un arrêt de travail des publicistes passera longtemps inaperçu (on pourrait même finir par trouver ça mieux).
Si on demande aux électeurs, il est assez unanimement admis que non, tous les emplois ne se valent pas. Et que le travail d’un ouvrier du bâtiment et celui d’un politicien professionnel n’ouvrent pas tout à fait le même droit à une retraite “bien méritée”.
En fait, entre ici en compte la notion de pénibilité. Pour la plupart des gens, on “mérite” sa retraite plus tôt si on a exercé un métier utile et particulièrement pénible, et plus tard (bien plus tard) si on a été banquier d’affaires (au hasard).
Est-ce juste ?
La justice de la retraite bien méritée est une notion au doigt mouillé qui varie énormément d’un électeur à l’autre, mais une chose est sûre : elle n’est liée ni au revenu du travailleur, ni à son usure physique, ou alors indirectement. La plupart des gens estiment qu’une retraite juste doit assurer un revenu décent même à un ancien travailleur pauvre (le cas des agriculteurs est éclairant), et qu’elle ne doit pas être réservée aux agonisants. La retraite “bien méritée” est probablement celle que les électeurs trouvent la plus juste, mais c’est aussi la moins facile à définir.
Et aujourd’hui ?
Dans le système actuel, on a une notion de “suffisamment travaillé” concernant le moment du départ : il faut avoir un certain nombre de trimestres cotisés.
Mais il prend également en compte la “valorisation” du travail : le montant de la pension est directement lié au montant des cotisations, elles-mêmes dépendantes du revenu d’activité perçu2.
Bien que semblant a première vue basé sur la quantité de travail fourni, le système actuel a un côté profondément capitaliste. Il perpétue d’ailleurs les inégalités sociales : plus tu es riche, plus tu le seras.
Est-ce juste ?
Non.
Je ne vois qui peut honnêtement prétendre que le système de retraite actuel est juste. Le rapport entre travail fourni et retraite perçue est spectaculairement à l’avantage des plus aisés, dont l’espérance de vie est largement supérieure : ils touchent plus et plus longtemps, alors qu’ils ont souvent eu les emplois les moins durs.
Mais ce système a au moins l’avantage d’être progressif : les très, très pauvres peuvent avoir une retraite à peu près décente, tandis que les très, très riches ont en théorie3 un revenu de retraité nettement inférieur à leur revenu d’actif.
Le remplacer par un système peu ou prou proportionnel, comme le souhaite le gouvernement, ne sera nullement plus juste, au contraire. Il creusera encore l’écart entre les plus riches et les plus pauvres.
Le système de retraite juste reste à inventer. Peut-être, d’ailleurs, n’existe-t-il pas, tant la notion même de justice varie d’un individu à l’autre. Mais, quoi qu’il en dise, celui de Philippe ne l’est certainement pas.