Virus, vaccins et automobiles

Avant-pro­pos : j’a­vais pré­vu de publier ça en jan­vier. J’a­vais plus qu’à le relire et l’illus­trer. Et puis voi­là : le 11 jan­vier, j’ai ache­té une mai­son, et du coup j’ai pas eu le temps de finir ce billet, et deux mois plus tard il traîne encore dans mon admin. Et comme je vois tou­jours cir­cu­ler des conne­ries sur les nou­veaux vac­cins, je vous le pro­pose tel quel. Ima­gi­nez qu’il y a des illus­tra­tions super jolies et didac­tiques et tout, un genre de Il était une fois la vie auto­mo­bile. De toute façon, votre ima­gi­na­tion des­sine sûre­ment mieux que moi.

Depuis un trois mois, on voit et entend beau­coup de choses sur les virus, les vac­cins, les dan­gers des uns ou la sécu­ri­té des autres. Si vous avez vu Face­book, Twit­ter, ou une file d’at­tente à la bou­lan­ge­rie ou au super­mar­ché, vous avez pro­ba­ble­ment décou­vert plein de théo­ries sur des nou­veaux vac­cins super dan­ge­reux qui vont chan­ger à jamais notre ADN. Et vous avez sans doute été frap­pé par le manque de visi­bi­li­té des avis scien­ti­fiques sur la ques­tion, mas­qués par des hordes d’im­pré­ca­teurs à chaque publication.

Il est donc impor­tant de dépas­sion­ner le débat. Jouons donc de la para­bole. Et puisque les Fran­çais adorent qu’on leur parle de bagnole (ça rime avec para­bole), ima­gi­nons que notre sys­tème immu­ni­taire soit une usine automobile.

Le virus

C’est donc l’his­toire de Renault1. Renault fabrique des voi­tures, des jolies Clio toutes pareilles2.

Mais voi­là qu’ar­rive PSA. Un agent double de PSA a cho­pé les clefs de l’u­sine Renault, et il arrive à hacker une chaîne de mon­tage pour faire fabri­quer plein de 208. Pis, celles-ci peuvent à leur tour conta­mi­ner les autres chaînes de mon­tage, dans toute l’u­sine. Vous ima­gi­nez bien que Renault n’est pas content.

Entre alors en jeu son ser­vice de sécu­ri­té. Au début un peu pris par défaut, il apprend à recon­naître les 208 et à les détruire. En géné­ral, au bout de quelques semaines, toutes les 208 ont été envoyées au recy­clage et l’u­sine peut fabri­quer des Clio tran­quille­ment. Et si jamais, à l’a­ve­nir, une autre Peu­geot par­vient à ren­trer dans l’u­sine, elle est immé­dia­te­ment atta­quée par le ser­vice de sécu­ri­té, désor­mais for­mé à recon­naître et détruire ces intruses.

Mais, par­fois, ça se passe mal. Le ser­vice de sécu­ri­té est dépas­sé et l’u­sine est débor­dée par la masse de 208 qui sortent de ses propres chaînes et qu’au­cun conces­sion­naire n’a­chète. À la fin, l’u­sine se bloque et finit en liqui­da­tion judi­ciaire3.

Le vaccin

Pour évi­ter ça, on a eu l’i­dée de for­mer le ser­vice de sécu­ri­té avant même qu’il voie sa pre­mière PSA. En gros, on va voir Kevin, le crâne rasé mus­clé qui dirige le ser­vice, et on lui montre : “Voi­là, une 208, ça res­semble à ça, c’est un peu comme une Clio mais la forme est pas tout à fait pareil. Et le jour où t’en ver­ras une, tu l’at­taques au pied-de-biche et tu la jettes dans le haut-four­neau avant qu’elle ait eu le temps de com­prendre ce qui lui arrive.”

Mais le pro­blème, c’est le “ça res­semble à ça”. Il suf­fit pas d’un Power­Point de douze pages : Kevin, il a besoin de tou­cher des trucs pour com­prendre. La tech­nique clas­sique, c’est de prendre une 208 et de la déglin­guer un peu : on vire les pneus, on retire le moteur, du coup elle peut plus infec­ter les chaînes de mon­tage. Mais on la déglingue pas trop, pour que Kevin soit pas en mode “C’est quoi ça ? C’est une voi­ture ou un lave-linge ?” et puisse recon­naître les vraies 208 le jour où elles arrivent. Si on rate son coup, soit le ser­vice de sécu­ri­té recon­naît pas les vraies 208, soit la 208 qu’on pen­sait déglin­guée fonc­tionne encore un peu et arrive à infec­ter une chaîne.

L’autre pro­blème, c’est qu’en fait, toutes les voi­tures sont pas par­fai­te­ment iden­tiques. De temps en temps, il y a des muta­tions. PSA n’en­voie pas seule­ment des 208, mais aus­si des C3. C’est pareil, mais ça a une gueule un peu dif­fé­rente et du coup, Kevin hésite quand il en voit une.

L’ARN messager

Vient l’i­dée du vac­cin à ARN mes­sa­ger. Au lieu d’en­voyer une 208 déglin­guée à Kevin en lui disant “Étu­die-la bien, et le jour où t’en vois une qui roule, PAF !”, on va voir Car­los, vous savez, le petit ouvrier qui bosse à l’emboutissage sur la chaîne des Clio. On va voir Car­los, donc, et on lui dit “Tiens, tu vas fabri­quer une paire de plates-formes PSA PF”. Car­los, docile et res­pec­tueux de l’au­to­ri­té, s’exé­cute. Mais il n’a pas l’u­ti­li­té de ces pièces, donc il les laisse traî­ner dans le couloir.

Dans la fou­lée, Kevin, en fai­sant sa patrouille, voit ces pièces toutes moches qui ont rien à faire là, cherche à quoi ça sert, réa­lise que ça n’a rien à faire là et les jette à la pou­belle. Et la pro­chaine fois qu’il ver­ra ces pièces, il se dira “Ah, j’ai déjà vu ça, c’est de la merde, hop, pou­belle !”, ce qui est pré­ci­sé­ment l’ef­fet recherché.

Le pre­mier inté­rêt, c’est que comme on fait plus du tout ren­trer de 208, même déglin­guée, dans l’u­sine, il n’y a plus aucun risque de cau­ser une infec­tion même mineure. Même la chaîne où bosse Car­los, une fois qu’il a fait notre petit pro­jet annexe, peut reprendre une acti­vi­té normale.

Le deuxième inté­rêt, c’est que c’est plus rapide. Clas­si­que­ment, il faut tes­ter plein de façons de déglin­guer des 208 jus­qu’à trou­ver le bon état, celui où elles ne risquent plus d’in­fec­ter la chaîne de fabri­ca­tion mais où Kevin va quand même les recon­naître à coup sûr. Main­te­nant, il faut juste trou­ver la bonne pièce à faire fabri­quer à Car­los. Évi­dem­ment, il faut des outils plus poin­tus pour ana­ly­ser la struc­ture des 208 en pro­fon­deur ; c’est ça qu’on savait pas faire il y a quelques années, et ça coûte cher. Mais une fois iden­ti­fiée la pièce idéale, ça va beau­coup plus vite : on l’é­tu­die, on fait un plan, et on trouve un moyen de dire à Car­los de mettre ce plan dans son emboutisseuse.

Le troi­sième inté­rêt, c’est que les vigiles recon­naissent aus­si les C3 et, en fait, tout ce qui uti­lise la même pièce. S’ils croisent un 2008, un C3 Air­cross ou même un Opel Cross­land4, on a de bonnes chances qu’ils com­prennent que ça n’a rien à faire là et le démo­lissent pareil. Pour vrai­ment filou­ter le ser­vice de sécu­ri­té, il faut une muta­tion très pré­cise et plu­tôt rare, comme le pas­sage à une nou­velle plate-forme.

Est-ce qu’un vaccin à ARN messager peut modifier notre ADN ?

C’est le gros truc qui tourne en boucle depuis quelques semaines mois. Appa­rem­ment, il fau­drait avoir peur des nou­veaux vac­cins parce qu’ils pour­raient modi­fier notre maté­riel génétique.

Bon, va fal­loir se plon­ger un peu plus dans la fabri­ca­tion d’une voiture.

Dans une belle armoire sécu­ri­sée à l’é­tage de direc­tion, Renault a les plans com­plets de la Clio. Une gigan­tesque liasse, qui va des sché­mas géné­raux aux cotes du plus petit bou­lon en pas­sant par le numé­ro de télé­phone de l’é­le­veur des vaches qui four­nissent le cuir du volant. Ça, c’est l’ADN.

Quand Car­los doit fabri­quer une por­tière, il n’a pas besoin de tout ça. Alors plu­tôt que de sor­tir toute la liasse de l’ar­moire et la redes­cendre jus­qu’à son poste de tra­vail, il demande à Jean-Do, qui bosse dans les bureaux, de lui pho­to­co­pier juste les deux pages dont il a besoin. La pho­to­co­pie, c’est l’ARN messager.

Le prin­cipe du vac­cin à ARN mes­sa­ger, c’est de filer direc­te­ment à Car­los les plans des trois pièces de chez PSA sur les­quelles on veut que Kevin jette un œil. Car­los prend les nou­veaux plans, il met ses feuilles d’a­lu dans la fraiseuse/emboutisseuse, il sort son mor­ceau de C3/208/…, et il jette les plans qui servent plus à rien, avant de faire une pause bien méri­tée et de reprendre son tra­vail normal.

Donc, est-ce que la petite feuille glis­sée à l’ou­vrier direc­te­ment sur la chaîne risque de remon­ter dans l’ar­moire sécu­ri­sée à l’é­tage de direction ?

Non.

Bien sûr, il y a des gens qui connaissent le code de l’ar­moire, et cer­tains pour­raient y rajou­ter des feuilles. Mais il n’y a aucune rai­son qu’ils soient pré­ci­sé­ment en pos­ses­sion des deux pages de plans de PSA : on les a filées direc­te­ment à Car­los, et il les a balan­cées à la pou­belle sitôt la pièce vou­lue fabri­quée. Il fau­drait qu’un vilain pos­sé­dant les clefs du coffre ait traî­né près de la chaîne, ait fait les pou­belles au bon moment, en ait sor­ti jus­te­ment les bonnes feuilles, puis qu’il soit remon­té jus­qu’aux bureaux de la direc­tion pour mettre le bazar dans la liasse de plans, le tout sans que per­sonne s’en rende compte…

Les limites de la métaphore

Évi­dem­ment, j’ai beau­coup sim­pli­fié. Si vous vou­lez un peu plus com­plet, il y a plein d’ar­ticles sur le sujet, par exemple ici, ici, ici, ou encore . Et si vous vou­lez vrai­ment tout savoir, consul­tez la lit­té­ra­ture scien­ti­fique sur le sujet (ce que je n’ai pas fait, hein, j’ai autre chose à faire des trois pro­chaines années).

Mais l’es­sen­tiel reste :

— ces vac­cins-ci ont été déve­lop­pés très rapi­de­ment parce qu’on y a mis les moyens et qu’on a des tech­no­lo­gies dont on ne dis­po­sait pas il y a ne serait-ce que cinq ou dix ans ;

— on peut pas exclure à 100 % que Car­los panique et bloque l’u­sine, mais en géné­ral ces vac­cins sont plu­tôt plus sûrs que ceux qu’on fai­sait avant, basés sur des agents infec­tieux plus ou moins neutralisés ;

— si vous avez peur qu’un vac­cin à ARN mes­sa­ger finisse par faire ren­trer des gènes dans votre ADN, n’hé­si­tez pas à jouer au Loto, vous avez toutes les chances de gagner.

  1. J’ai pris une marque au pif, ça marche pareil dans l’autre sens, hein.
  2. Les claus­tro­phobes vous diront qu’on a vrai­ment l’im­pres­sion d’être dans des petites boîtes très étroites.
  3. Ce qui est tou­jours mieux que de finir dans une valise au Liban.
  4. Comme celui qu’on vient de trou­ver a trou­vé fin 2020 en Angleterre