La course au mouton sauvage

De Haru­ki Murakami, ****

Votre boîte fonc­tionne bien. Vous édi­tez des pla­quettes publi­ci­taires, vous buvez plus que de rai­son le same­di soir mais vous êtes capable de rejoindre votre appar­te­ment sans titu­ber pour ne pas alar­mer les voi­sins. Vous repen­sez à vos amis per­dus, à cette lettre que vous avez reçue de celui que vous appe­liez le Rat. Vous bos­sez sur une nou­velle pla­quette, où vous inté­grez la pho­to d’un pay­sage de style «carte pos­tale de Hok­kai­dô», avec des mon­tagnes, des bos­quets et des mou­tons qui paissent, arri­vée par cette même lettre. Vous sor­tez avec une fille de quinze ans votre cadette parce que vous êtes amou­reux de ses oreilles.

Bref, vous ne me don­nez pas envie de vous connaître.

Et puis, il y a ce bon­homme étrange aux étranges pro­pos, qui repré­sente un des par­tis poli­tiques les plus puis­sants de l’ex­trême droite japo­naise, donc le meneur se meurt après soixante ans d’ac­ti­visme. Cet homme qui tient abso­lu­ment à savoir d’où vient la pho­to que vous avez publiée, sur laquelle il a repé­ré un mou­ton qui n’est ni pré­alpe, ni méri­nos, ni d’au­cune souche jamais impor­tée au Japon. Cet homme qui, lors­qu’il com­prend que vous ne savez pas d’où vient la pho­to, vous donne des cré­dits presque illi­mi­tés pour retrou­ver l’en­droit d’où elle fut prise et menace, si vous ne vous lan­cez pas dans cette enquête absurde, d’u­ser des appuis du par­ti pour cou­ler votre boîte.

Alors, vous par­tez à la recherche des vos anciens com­pa­gnons, à la recherche du Rat.

Haru­ki Mura­ka­mi montre ici l’in­té­rêt de cer­tains romans japo­nais. Il n’est pas sans rap­pe­ler la pour­tant beau­coup plus jeune Bana­na Yoshi­mo­to, dans ses por­traits de gens bla­sés quoique par­ve­nus, ces gens bal­lo­tés qui ne savent pas trop où ils vont et qui se jettent sans enthou­siasme sur la moindre chance de trom­per un peu la pla­ti­tude de leur vie.

En même temps, il nous mène dans un excellent polar, dont on ne devi­ne­ra la fin que… à la fin, mâti­née de fan­tas­tique, dans les décors magni­fiques des quelques régions encore sau­vages de Hokkaidô.

En outre, la tra­duc­tion du japo­nais en fran­çais est un défi per­ma­nent au bon sens. Bien sou­vent, le résul­tat final est donc bour­ré de phrases étranges, ou d’ex­pli­ca­tions lour­dingues de ce qui n’est que sous-enten­du dans la ver­sion originale.

Patrick de Vos a ici fait le choix d’une tra­duc­tion très sobre, qui rend d’ailleurs très bien l’am­biance légè­re­ment déses­pé­rée de ce roman. Le résul­tat se lit par­fai­te­ment bien, et le prix de la tra­duc­tion obte­nu par ce livre est tout à fait mérité.