Études ≠ travail

“Désor­mais, ce qui compte en France, ce n’est plus d’être bien né, c’est tra­vailler dur et avoir fait la preuve, par ses études, par son tra­vail, de sa valeur.”

La phrase, pro­non­cée hier par notre pré­sident à nous qu’on a et reprise à la télé, est sur toutes les lèvres et notam­ment en une de Libé ce matin (non, ras­su­rez-vous, je lis pas Libé, mais ça m’ar­rive de voir des unes).

Je ne me per­met­trai pas de glo­ser sur le fait que le fils dudit pré­sident est jus­te­ment can­di­dat à l’ad­mi­nis­tra­tion d’un énorme éta­blis­se­ment public alors qu’on ne peut rai­son­na­ble­ment consi­dé­rer qu’on a fait preuve de valeur sco­laire et pro­fes­sion­nelle quand on est en deuxième année de fac à vingt-trois ans (les gens nor­maux passent le bac à dix-huit ans et par consé­quent, cinq ans plus tard, on est cen­sé pas­ser un mas­ter. Certes, il y a eu de l’hy­po­khâgne au milieu, mais jus­te­ment, finir en fac de droit après une pré­pa, c’est pas non plus gage de réus­site). Non, je ne suis pas de ce genre-là, pis je suis pas le mieux pla­cé pour cri­ti­quer, ayant pas­sé une licence huit ans après le bac.

Donc, je me conten­te­rai de m’é­le­ver briè­ve­ment contre cette affir­ma­tion aber­rante : appa­rem­ment, le par­cours sco­laire serait un indi­ca­teur du travail.

Or, j’en connais qui sont arri­vés au bac les mains dans les poches et en sont repar­tis avec une men­tion, et ne se sont pas mis réel­le­ment au bou­lot avant bien plus tard. J’en connais d’autres qui ont ramé pen­dant des années pour décro­cher un BEP ou un bac pro (j’ai été pion pen­dant deux ans en lycées pro­fes­sion­nels, j’ai eu l’oc­ca­sion d’observer).

Idem pour le par­cours pro­fes­sion­nel, où cer­tains ont la chance de tom­ber au bon endroit au bon moment, de se retrou­ver dans un envi­ron­ne­ment favo­rable avec des patrons rai­son­nables et com­pré­hen­sifs, et d’autres sont contraints à bos­ser pour des nos­tal­giques de l’es­cla­vage. Et il ne suf­fit pas de tra­vailler dur pour gra­vir des éche­lons quand on est “agent d’ac­cueil” ou “tech­ni­cien de sur­face” (curieu­se­ment, per­sonne s’est sen­ti obli­gé de créer ce genre d’eu­phé­misme à la con pour le poste de pré­sident de la République…).

Quand on est un avo­cat en droit immo­bi­lier vague­ment enga­gé dans l’an­tenne locale d’un par­ti poli­tique, on peut croi­ser les bonnes per­sonnes et obte­nir de l’a­van­ce­ment, voire des car­rières “brillantes”, bien plus faci­le­ment que quand les hasards de la vie et les néces­si­tés ali­men­taires vous ont fait deve­nir prof d’his­toire en Seine St-Denis, avec deux heures de RER jusque chez vous et pas le temps de vous occu­per ne serait-ce que de votre syn­di­cat — et là, je prends déli­bé­ré­ment un exemple gen­til, y’a bien pire dans la vie que d’être prof d’histoire.

Acces­soi­re­ment, je trouve abso­lu­ment hila­rant que le même indi­vi­du qui clame aujourd’­hui que le seul cri­tère de sélec­tion est la valeur mon­trée par son tra­vail, peu importe la nais­sance, affir­mait il y a peu que la cri­mi­na­li­té était innée et qu’on pou­vait détec­ter les futurs serial killers à la mater­nelle sinon au ber­ceau. Là, en revanche, il sem­blait que la nais­sance était importante…