Œ

On va encore m’ac­cu­ser de faire des choses très vilaines à d’in­no­cents insectes, mais voi­là : ça m’é­nerve. Et des fois, quand je m’é­nerve, faut que ça sorte.

Répé­tez après moi : “O‑E entre­la­cés”. C’est comme ça que disait mon institutrice.

C’é­tait joli, “O‑E entre­la­cés”. Ça fai­sait comme s’ils étaient amou­reux, mignons tous pleins, ser­rés l’un contre l’autre en se tenant dans leurs petits bras mus­clés, de sorte que rien au monde n’au­rait ris­qué de les sépa­rer. C’é­tait en tout cas plus poé­tique que le qua­si-por­no “O, E dans l’O” que d’autres disaient, et moins car­cé­ral que le “O, E liés” ou la “liga­ture O‑E” éga­le­ment entendus.

Le “O‑E entre­la­cés”, me disait mon ins­ti­tu­trice (en accord avec l’A­ca­dé­mie fran­çaise et tous les auteurs sérieux), était un vrai carac­tère, pas juste là pour faire joli. D’ailleurs, il fai­sait un seul son à la fois, ɛ, e, œ ou ø selon les mots, alors que “O‑E” fai­sait deux sons, avec un hia­tus au milieu : cœur /kœʁ/, mais coexis­tance /koegzistɑ̃s/.

Cette longue intro­duc­tion pour en venir à ceci : ces temps-ci, on entend beau­coup par­ler (à la télé main­te­nant… ‑_-) de la Haute auto­ri­té pour la dif­fu­sion des œuvres et la pro­tec­tion des droits sur Inter­net. Ce nom étant un peu fas­ti­dieux à écrire et HAPLDDŒELPDDSI étant un peu dur à pro­non­cer, il fut déci­dé pour l’a­bré­ger de ne conser­ver que les ini­tiales cer­tains des mots les plus longs. D’où le logo : 

Si j’é­tais psy­cho­logue, je remar­que­rais que le seul sub­stan­tif à n’a­voir point droit à une lettre dans l’a­bré­via­tion est “droits”, et j’af­fir­me­rais que ça en dit long sur les prio­ri­tés des auteurs. Mais ce n’est pas mon genre.

Non, je me bor­ne­rai à hur­ler que bor­del de pute borgne, O ≠ Œ !!!

HADŒPI ou, comme le veut l’u­sage moderne (qui tend à lais­ser en bas-de-casse les sigles pro­non­çables), Hadœ­pi, serait une abré­via­tion possible.

Hado­pi, non, je vois pas pourquoi.

Et ce pauvre O, jadis gaie­ment entre­la­cé avec son E ado­ré, se retrouve esseu­lé, sépa­ré de sa moi­tié par un sort injuste, iso­lé en haut de l’af­fiche, soli­taire et loin de son foyer.

Tout ça parce que le cré­tin qui a créé la Haute auto­ri­té au nom inter­mi­nable ne sait pas écrire “œuvre”.