The sound of 9/11

Je m’é­tais à peu près pro­mis de pas par­ler des atten­tats ter­ro­ristes qui ont fait la “une” le 11 sep­tembre 2001 aux États-Unis.

Mais là, j’ai quand même du mal à l’avaler.

Dans les com­mé­mo­ra­tions offi­cielles, j’en­tends qu’on chante The sound of silence. Selon, pro­ba­ble­ment, l’ha­bi­tude qui veut qu’on choi­sisse une chan­son en s’ar­rê­tant à son titre, sans regar­der de quoi elle parle…

Les com­mé­mo­ra­tions ont un sens essen­tiel : “nous n’ou­blions pas”. Une com­mé­mo­ra­tion parle d’un évé­ne­ment dont on veut se sou­ve­nir. Si l’on adopte une chan­son lors d’une céré­mo­nie com­mé­mo­ra­tive, il est donc bon de s’as­su­rer qu’elle ait un rap­port avec l’é­vé­ne­ment ou le mes­sage que l’on sou­haite faire passer.

The sounds of silence parle de com­mu­ni­ca­tion et de publi­ci­té. C’est, fon­da­men­ta­le­ment, une chan­son sur la soli­tude, l’an­goisse et sur­tout le manque d’é­changes entre les êtres humains. C’est peut-être moins expli­cite que pour I am a rock, autre suc­cès de Simon et Gar­fun­kel, mais c’est le même thème de base : “j’ai vu dix mille per­sonnes, peut-être plus, des gens qui enten­daient sans écou­ter, des gens qui par­laient sans dis­cu­ter, des gens qui écri­vaient des chan­sons qu’au­cune voix ne reprenait”.

La seconde par­tie lie direc­te­ment cette soli­tude à la publi­ci­té, à la lumière clin­quante des socié­tés modernes, au miroir aux alouettes for­mé par les néons des villes — la lumière est le fil rouge de la chan­son, source de révé­la­tion, de dou­leur, de fas­ci­na­tion mys­tique enfin. C’est la dénon­cia­tion essen­tielle : “les gens se sont incli­nés et ont prié le Dieu de néon qu’ils avaient créé […] et l’en­seigne dit ‘les mots des pro­phètes sont écrits sur les murs de métro et les halls d’immeubles’.”

Com­ment un esprit malade a‑t-il pu choi­sir une telle œuvre pour accom­pa­gner un retour obses­sion­nel sur des images décen­nales, la com­mu­nion d’une socié­té plus que jamais tour­née vers l’i­mage (nul n’au­ra raté les écrans géants qui emplissent Man­hat­tan ou les pro­jec­tions lumi­neuses qui éclairent le site du World trade cen­ter), et pour unir un peuple cou­pable pré­ci­sé­ment d’au­tisme politique ?

Déso­lé de le rap­pe­ler, mais si les États-Unis ont été pris pour cible, c’est en tant que sym­bole impé­ria­liste. Plus d’ou­ver­ture, plus de com­mu­ni­ca­tion ouverte avec d’autres cultures auraient peut-être pu limi­ter la casse — pas au point d’é­vi­ter que des tarés orga­nisent des atten­tats bien sûr, mais peut-être suf­fi­sam­ment pour que ceux qui étaient au cou­rant de quelque chose le disent.

Il y a une chose dont je me sou­viens de la mi-sep­tembre 2001. C’é­tait une amé­ri­caine qui, hagarde et san­glo­tante devant les images d’A­rabes fêtant l’at­ten­tat, deman­dait en boucle : “why do they hate us ?”

La réponse était pour­tant dans la ques­tion. Si les ter­ro­ristes avaient leurs propres rai­sons, reli­gieuses, éco­no­miques ou poli­tiques, les simples qui­dams pour leur part détes­taient un pays arro­gant, égo­cen­trique, inca­pable d’é­cou­ter les autres et pré­fé­rant se regar­der lui-même domi­ner le monde. Les mêmes tra­vers que Paul Simon décri­vait en 65, mais por­tés à l’é­chelle d’un État.

Il y avait mille chan­sons très émou­vantes par­lant de deuil, de recueille­ment, de com­mu­nion, d’u­nion face à l’en­ne­mi même (je vous donne La Mar­seillaise quand vous vou­lez). Était-il utile de choi­sir une chan­son dénon­çant l’au­tisme d’une socié­té inhu­maine, pré­ci­sé­ment lors de la com­mu­nion sym­bo­li­que­ment tour­née sur elle-même d’une socié­té qui ne s’est inté­res­sée aux autres que pour leur foutre sur la gueule et impo­ser ses propres vues ?