Corrélations multiples

Il y a quelques jours, suite à une affir­ma­tion abu­sive d’un confrère, je publiai un billet sur la mort par arme à feu, le nombre d’armes en cir­cu­la­tion et l’é­ven­tuelle cor­ré­la­tion entre les deux. Dans celui-ci, je notai une réserve à mon pro­pos géné­ral (qui était en bref que non, il n’y a pas de cor­ré­la­tion évi­dente entre pos­ses­sion mas­sive d’armes et uti­li­sa­tion de ces armes pour mas­sa­crer son prochain) :

si l’on se concentre sur les seuls pays à moins de 35 armes pour 100 habi­tants et moins de 7 morts pour 100 000 habi­tants, on trou­ve­ra une légère cor­ré­la­tion, mais celle-ci est tel­le­ment faible qu’elle devient introu­vable dès qu’on réin­tègre l’Amérique latine.

Un geek, un vrai, vous le savez, ça peut s’emparer de n’im­porte quel sujet et le creu­ser assez loin. Quand deux geeks dis­cutent, c’est pire.

Moi, j’é­tais content de ma conclu­sion, mais ça a intri­gué Ghusse, qui a déci­dé d’en­quê­ter plus pro­fon­dé­ment sur cette réserve, en par­ti­cu­lier en éli­mi­nant les pays pauvres pour se concen­trer sur ceux dont la situa­tion socio-éco­no­mique est com­pa­rable à celle des États-Unis.

Il a donc cher­ché des sta­tis­tiques plus détaillées pour les pays clas­sés comme riches par l’OCDE, en se concen­trant uni­que­ment sur les homi­cides par arme à feu — excluant donc les sui­cides, qui repré­sentent sou­vent l’es­sen­tiel des morts par arme.

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Il y a tou­jours des excep­tions. Par exemple, à arse­nal com­pa­rable, les Cana­diens tuent plus de gens par arme que les Alle­mands. Cepen­dant, sur ce gra­phique, la cor­ré­la­tion existe et est assez claire, même s’il met sur­tout en évi­dence l’ex­cep­tion amé­ri­caine : avec deux fois plus d’armes par habi­tant que les pays “bien armés” de l’OCDE, les habi­tants des États-Unis se tirent les uns sur les autres quatre fois plus que les Euro­péens, Cana­diens ou Asia­tiques de la liste.

Les États-Unis sont aus­si de grands pour­voyeurs de sta­tis­tiques détaillées, qui per­mettent de com­men­cer à réflé­chir à une autre ques­tion : la cri­mi­na­li­té est-elle plus éle­vée dans les États les plus armés ? Autre­ment dit : y a‑t-il un “effet d’au­baine” où les homi­cides par armes à feu se feraient au détri­ment des homi­cides par d’autres moyens moins com­modes, ou au contraire les homi­cides par arme viennent-ils s’a­jou­ter aux grands clas­siques que peuvent être les éven­tra­tions, exé­cu­tions et autres percussions ?

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Ici, je ferai pour ma part une réponse de Nor­mand. Les États où les homi­cides sont plus nom­breux ont aus­si sou­vent de nom­breux homi­cides par armes, et glo­ba­le­ment les États où l’ont uti­lise le moins d’armes à feu pour tuer sont aus­si ceux où l’on tue le moins avec d’autres armes ou sans armes. L’ex­cep­tion, c’est la Loui­siane (mau­dits Fran­çais !), dont les habi­tants se tirent des­sus géné­reu­se­ment mais s’en­tre­tuent assez peu par d’autres moyens.

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Enfin, le taux d’é­qui­pe­ment a‑t-il une influence sur la façon dont sont réa­li­sés les homi­cides ? Ici, c’est flou : la ten­dance est que les armes à feu sont uti­li­sés dans 40 à 80 % des homi­cides, sans qu’une rela­tion claire soit évidente.

Glo­ba­le­ment, au fil de ces péré­gri­na­tions, il est pos­sible de conclure que dans les pays riches, plus on a d’armes à feu, plus on se tire des­sus — avec, tou­jours, une pro­ba­bi­li­té de mou­rir d’une balle par­ti­cu­liè­re­ment faible : en moyenne, on compte 0,35 homi­cides par arme à feu pour 100 000 habi­tants et par an, contre un taux de mor­ta­li­té de l’ordre de 8 ‰ ; il y a donc moins d’une chance sur 2000 de mou­rir ain­si quand on habite un pays riche.

En revanche, il n’est pas évident de lier le taux d’é­qui­pe­ment à d’autres variables ; et notam­ment, le fait d’a­voir des armes ne semble pas par­ti­cu­liè­re­ment jouer dans la répar­ti­tion entre ce type d’ho­mi­cides et les autres. Il y a sans doute une expli­ca­tion simple : dans l’OCDE, il y a en moyenne vingt armes à feu pour cent habi­tants, ce qui laisse plein d’oc­ca­sions aux gens sus­cep­tibles de les uti­li­ser de s’é­qui­per au moins en fusils de chasse ou en armes de tir spor­tif, même dans les pays qui luttent contre la pro­li­fé­ra­tion. Lorsque le taux d’é­qui­pe­ment aug­mente, c’est donc sans doute plus parce que les non-meur­triers s’é­quipent aus­si que parce que les meur­triers sont plus nombreux.

Enfin, le fait même que nous devions pous­ser les sta­tis­tiques ain­si à la recherche de cor­ré­la­tions montre en tout cas clai­re­ment que non, celles-ci ne sont pas évi­dentes. De là à pen­ser que si l’on veut vrai­ment réduire les homi­cides, la lutte contre la cir­cu­la­tion des armes n’est pas la prio­ri­té abso­lue, il n’y a qu’un pas.

Mer­ci à Ghusse pour les com­pi­la­tions de don­nées et les jolis sché­mas que je n’au­rais jamais eu la patience de faire.