Bon vol

Dans les années 1980, cer­tains lec­teurs com­men­çaient à s’é­mou­voir. Buck Dan­ny avait certes pris une quin­zaine d’an­nées depuis son entrée dans l’Air Force (début 1942), mais il res­tait très jeune pour quel­qu’un dont la car­rière avait duré jus­qu’à pilo­ter des Tom­cat de la Navy. Jean-Michel Char­lier expli­quait alors qu’il avait dû “figer” son per­son­nage d’une part pour le faire durer, d’autre part parce qu’é­tant deve­nu colo­nel, à sa mon­tée en grade sui­vante, il allait se retrou­ver assis der­rière un bureau avec beau­coup moins d’a­ven­tures à raconter.

Il y a pour­tant une poi­gnée de pilotes qui ont réel­le­ment fini sur des jets de qua­trième géné­ra­tion une car­rière com­men­cée sur des chas­seurs à hélice. Pre­nez Bob Hoo­ver : enga­gé dès 1940, envoyé en Sicile sur Spit­fire, il confir­ma son goût pour les machines étran­gères en pre­nant l’i­ni­tia­tive de rap­por­ter un Focke-Wulf Fw 190 après avoir été cap­tu­ré. Deve­nu pilote d’es­sais, il accom­pa­gna dis­crè­te­ment Chuck Yea­ger le 14 octobre 1947, puis conti­nua à voler sur tout ce qu’on le lais­sait approcher.

Tourner une boucle avec deux hélices en drapeau : normal.
Tour­ner une boucle avec deux hélices en dra­peau : normal.

Hoo­ver, homme d’ex­pé­ri­men­ta­tions et de pré­sen­ta­tions : pen­dant que Yea­ger fai­sait de la pub pour Gene­ral Motors, lui pré­fé­rait pilo­ter un Mus­tang jaune dans les mee­tings aériens, mon­trer régu­liè­re­ment à tout le monde qu’un avion d’af­faires peut vol­ti­ger — et même, qu’il n’a pas besoin de moteur pour cela —, ou encore pro­mou­voir l’u­ti­li­sa­tion de filtres pour empê­cher de ravi­tailler un avion avec le mau­vais type de car­bu­rant. Ça, et faire plier l’ad­mi­nis­tra­tion pour pro­lon­ger sa licence quand elle le trou­vait trop vieux pour pilo­ter, alors qu’il n’a­vait même pas quatre-vingts ans.

Le tout, avec humour : quand il s’est agi de prou­ver qu’on peut se ser­vir un verre dans un avion la tête en bas, il expli­quait que la par­tie dif­fi­cile était de tenir le pot de manière à ne pas gêner le champ de la caméra.

Le grand public connaît bien Yea­ger, l’homme du mur du son. Mais Bob Hoo­ver pilo­tait déjà des chas­seurs quand Yea­ger réflé­chis­sait à signer son contrat, et Hoo­ver pilo­tait encore son Com­man­der quand Yea­ger avait rac­cro­ché les gants depuis des lustres.

Bob Hoo­ver, l’un des pilotes qui avaient le plus inépui­sable réser­voir d’a­nec­dotes à racon­ter, est mort ce matin. Bon vol.