Un train qui ne s’arrête pas

Mon­sieur Fran­çois Fillon, can­di­dat à la pré­si­dence de la Répu­blique, a récem­ment affir­mé que sa can­di­da­ture est “un train qui ne s’ar­rê­te­ra pas”.

Évi­dem­ment, plein de gens ont iro­ni­sé : qui veut mon­ter dans un train qui ne s’ar­rête pas, même en gare ? Ou encore : ça rap­pelle Le trans­per­ce­neige et son adap­ta­tion ciné, c’est super engageant !

Acci­dent du train n°56 de la Com­pa­gnie de l’Ouest, 1895.

Cer­tains rigo­los ont même res­sor­ti les célèbres pho­tos du Gran­ville-Paris du 22 octobre 1895, qui défon­ça butoir et murs du ter­mi­nus de la gare du Mont-Par­nasse pour dégrin­go­ler dans la rue. L’ac­ci­dent n’a par chance fait qu’une vic­time et c’é­tait il y a plus de douze décen­nies, on peut donc en rire.

Mais per­son­nel­le­ment, c’est une autre réfé­rence qui me vient à l’es­prit. Une dont beau­coup pour­raient, voire devraient se souvenir.

Le 27 juin 1988, le train Melun-Paris 153944 a subi une panne presque totale de freins, alors qu’il des­cen­dait à 70 km/h la rampe menant à la gare de ban­lieue de Paris-Lyon (aujourd’­hui sta­tion du RER D), pour finir par s’é­cra­ser dans un train à quai qui atten­dait de repartir.

On en rigole moins, parce que la plu­part des gens qui étaient à Paris il y a trente ans s’en souviennent.

Et s’ils s’en sou­viennent, c’est que le bilan a été bien plus lourd : cin­quante-six per­sonnes ont été tuées.

Le pire, c’est qu’à l’é­poque, on par­lait qua­si­ment de miracle : la voi­ture de tête du train à quai, située près des esca­liers, était pleine comme un œuf une minute avant l’ac­ci­dent. Elle a été inté­gra­le­ment broyée, mais la majo­ri­té de ses occu­pants ont éva­cué sur l’ordre du conduc­teur qui, voyant le 153944 lui arri­ver des­sus, a pré­fé­ré prendre son micro et hur­ler aux gens de déga­ger plu­tôt que de sor­tir de la loge de conduite pour se sau­ver lui-même.

Pour ceux qui étaient en région pari­sienne, ce fut un des drames qui marquent dura­ble­ment une per­sonne. Voyez comme la catas­trophe de Bré­ti­gny est encore pré­sente dans les mémoires, et dites-vous qu’il y a eu huit fois plus de vic­times. J’a­vais sept ans, j’é­tais fils de ber­ger à Lanas, dans le sud de l’Ar­dèche, je n’a­vais pas la télé­vi­sion, et je me sou­viens vague­ment de cette histoire.

Où était Fillon le 27 juin 1988 ? Pro­ba­ble­ment… à Paris. Ou pas loin. Il venait d’être réélu dépu­té et la IXè légis­la­ture de la Vè Répu­blique s’é­tait ouverte quatre jours plus tôt.

Pour­tant, Fillon voit une image posi­tive dans celle d’un train qui ne s’ar­rête pas.

Ce type avait trente-huit ans, et déjà la tête si pro­fon­dé­ment enfon­cée dans le cul qu’il a com­plè­te­ment oublié un acci­dent qui avait trau­ma­ti­sé une bonne part de ses concitoyens.