Un homme de caractère(s)

Vous l’a­vez peut-être remar­qué, par­mi les choses qui m’in­té­ressent, on trouve la pho­to­gra­phie et l’aé­ro­nau­tique. À l’in­ter­sec­tion entre ces deux uni­vers, on trou­vait Guy-Michel Cogné.

Je pour­rais vous dire qu’on s’est tou­jours bien enten­du, mais ça serait un men­songe — et  je ne crois pas que tout pré­sen­ter sous un jour angé­lique soit une bonne manière de rendre hom­mage aux gens.

En fait, nos pre­miers contacts, il y a une dizaine d’an­nées, ont même été fran­che­ment rugueux.

C’é­tait l’é­poque où la presse spé­cia­li­sée en ligne com­men­çait à décol­ler, et Guy-Michel voyait d’un œil noir ces nou­veaux médias annon­çant des audiences qui lais­saient la presse rêveuse et dont l’in­dé­pen­dance lui parais­sait douteuse.

Notre pre­mière ren­contre, à l’ou­ver­ture d’un Salon de la Pho­to, sui­vait de quelques mois un article où il avait cal­cu­lé qu’à 150 000 exem­plaires1, trois lec­teurs et 132 pages par exem­plaire, Chas­seur d’i­mages fai­sait bien plus de pages vues que n’im­porte quel site web. J’a­vais pris soin de lui dire que nous, on comp­tait les pages effec­ti­ve­ment vues alors que les gens qui feuille­taient sa revue en sau­taient plus de la moi­tié. Il avait répli­qué qu’on ne pou­vait pas être indé­pen­dants puisque nos lec­teurs ne nous payaient pas et que la pub nous finan­çait, je lui avais répon­du que la moi­tié de son maga­zine était rem­plie de pub, je ne sais plus qui avait eu le der­nier mot mais on s’é­tait quit­tés sur ce ton avant de s’i­gno­rer super­be­ment pen­dant le reste du Salon.

Guy-Michel avait un carac­tère entier, il se dit que moi aussi.

Mais il savait aus­si chan­ger d’a­vis lorsque c’é­tait jus­ti­fié. Au fil du temps et des articles, il a admis que Chas­seur d’i­mages et Focus numérique/Les Numé­riques fai­saient le même bou­lot — avec la même pas­sion et la même légi­ti­mi­té, à défaut d’a­voir le même finan­ce­ment et la même approche. Nous avons fini par nous lire avec inté­rêt, par­ta­geant cer­tains coups de gueule (notam­ment sur l’é­vo­lu­tion des salons ou la prise de pou­voir des mar­ke­teux dans la direc­tion de cer­tains construc­teurs), et lorsque je suis deve­nu sans rédac­tion fixe, il a fait par­tie des pre­miers à me pro­po­ser de piger pour lui.

Navi­ga­tion pré­pa­rée le jour où j’ai démé­na­gé à Angou­lême… — cap­ture Flight Assistant

Il faut dire que, un jour, quel­qu’un2 à qui je par­lais d’a­vions m’a dit : “ah tiens, faut que t’en parles avec Guy-Michel, c’est un vrai pas­sion­né”. Et effec­ti­ve­ment, à par­tir du moment où le sujet a été évo­qué, nous avons dis­cu­té au moins autant de choses qui volent que de choses qui pho­to­gra­phient. Il doit d’ailleurs se trou­ver dans mes archives un mail de deux lignes concer­nant une pige écrite pour Chas­seur, sui­vi d’une page sur le fait qu’il devait de toute urgence aller voir un méde­cin aéro pour pou­voir reprendre les vols, ayant dis­trai­te­ment lais­sé pas­ser la date de vali­di­té de sa visite médicale.

Lorsque j’ai obte­nu la PPL, on s’é­tait dit que je devais pas­ser à Châ­tel­le­rault-Tar­gé, visi­ter les locaux (du ter­rain et de la rédac­tion), dîner ensemble et éven­tuel­le­ment tâter de l’hé­li­co. Puis il y eut du bou­lot, des aléas météo, et récem­ment deux bou­quins à tra­duire coup sur coup, et à chaque fois je repous­sais l’i­dée à la pro­chaine occasion.

Cette fois, c’est Guy-Michel qui a décom­man­dé : hier soir, son Rana­bot, dont il par­lait avec tant de pas­sion, est tom­bé au bord de la piste de Targé.

Il nous manquera.

  1. Ou 100 000, ou 200 000, je ne sais plus et je n’ai pas retrou­vé ce passage.
  2. Je me demande si ça n’é­tait pas Ronan Loaëc, alors rédac­teur en chef de Chas­seur d’i­mages, que je voyais par­fois en voyage de presse.