Joyeux anniversaire

Papa avait des goûts dis­cu­tables. Enfin, disons-le clai­re­ment : en matière d’es­thé­tique, c’é­tait un per­vers atteint au plus der­nier degré. Nul ne fut donc réel­le­ment sur­pris de le voir dra­guer de l’autre côté de la Manche, terre frustre où les lai­de­rons pullulaient.

Mais voi­là qu’en pleine ges­ta­tion, Papa décé­da, lais­sant la famille entre les mains d’un grand théo­ri­cien de l’es­thé­tique. Beau-père acci­den­tel d’un nou­veau-né qu’il n’a­vait pas dési­ré, celui-ci ne tar­da pas à renier l’en­fant, lais­sant sa mère anglaise s’oc­cu­per qua­si­ment seule de lui faire décou­vrir le monde. Pire encore, alors que le petit appre­nait tout juste à nager, son parâtre n’hé­si­ta pas à lui jeter sur la tête un de ses enfants géné­tiques — notre héros du jour sur­vé­cu à la noyade, mais gar­da désor­mais soi­gneu­se­ment les pieds hors de l’eau.

Les tra­hi­sons du beau-père ne mas­quèrent pour­tant pas ses qua­li­tés : cos­taud, simple, résis­tant, peu regar­dant sur le confort, il ne rechi­gnait pas à la tâche et s’a­vé­ra à l’aise dans le désert et les mon­tagnes, voya­geant avec suc­cès de Mau­ri­ta­nie au Pakis­tan en pas­sant par l’I­rak et la You­go­sla­vie. Désor­mais quin­qua­gé­naire, il reste frin­gant, mais habite à 6000 km des pays où il a gran­di et n’y revient plus guère. Aus­si, chez nous, ceux qui l’ont connu en sont réduits à par­ta­ger des sou­ve­nirs, en iro­ni­sant sur son phy­sique pour mas­quer leur émotion.

Sous cet angle, on se demande bien pour­quoi les mau­vaises langues le sur­nom­maient “barque à fond plat”… — pho­to René J. Fran­cil­lon, à St-Dizier le 24/06/97, via Fré­dé­ric Marsaly

Joyeux anni­ver­saire, SEPECAT Jaguar.