De la parabole au cinéma

Très bel ins­tant “vieux con” à l’ins­tant dans L’in­fo s’é­claire, avec un Bru­no Cras qui sort en gros : “Scor­sese, Cop­po­la, ils avaient des choses à dire, les Mar­vel je cherche tou­jours ce qu’ils veulent dire”.

Effec­ti­ve­ment, quand t’es un boo­mer blanc bien ins­tal­lé au som­met de la socié­té, les Mar­vel n’ont rien à te dire. Si je résume très abrup­te­ment, leur mes­sage depuis des lustres, c’est un leit­mo­tiv à des­ti­na­tion des losers, des pau­més, des mal dans leur peau, des rebuts de la socié­té, et c’est un truc du genre “t’es pas seul, et tu peux aus­si avoir une cer­taine valeur si tu trouves ta place et évites de pour­rir l’hu­ma­ni­té”. C’é­tait le nœud des X‑Men, entre plein d’autres réfé­rences diverses et variées, et c’est un motif récur­rent de Spi­der-Man à The sui­cide squad en pas­sant par Dr Strange (parce que oui, même Mar­vel s’a­dresse par­fois aux hommes bourges quadragénaires).

Certes, ça uti­lise comme matière des mutants, des êtres doués de pou­voirs sur­na­tu­rels, des ratons-laveurs cyborgs, des condam­nés à per­pètre, des ado­les­cents por­to­ri­cains ou même des dieux, ce qui peut don­ner l’im­pres­sion à cer­tains que ça ne parle pas d’eux. Mais les êtres humains nor­maux ont une fonc­tion bap­ti­sée “empa­thie” (sérieu­se­ment, j’en reviens pas d’être ame­né à expli­quer ça, vu comme j’ai moi-même appris le concept dans un dic­tion­naire) qui leur per­met de com­prendre ce qui ne s’a­dresse pas direc­te­ment à eux et de sai­sir les expé­riences des autres.

Le pire, c’est quand il met dans le même tas Fast and Furious X et Gar­diens de la Galaxie vol 3. Faire ça, c’est affi­cher ouver­te­ment qu’on a rien com­pris à rien et qu’on est inca­pable de se pro­je­ter dans autre chose qu’un truc de vieux blancs quin­qua­gé­naires. F&F1, c’est de la dis­trac­tion tota­le­ment débile, un “feu d’ar­ti­fice” comme le disait la dame pas­sée après le vieux con : ça pète dans tous les sens, ça n’a ni queue ni tête, on l’au­ra oublié le len­de­main mais on s’en fout.

GotG, et en par­ti­cu­lier le troi­sième opus, c’est une méta­phore sur l’ac­cep­ta­tion, la socié­té qui rejette les anor­maux, l’ob­ses­sion de per­fec­tion plas­tique, et aus­si en pas­sant une fable sur la face noire des pro­jets uto­piques. C’est “T’es un paria ? C’est pas une excuse pour être égoïste, tu peux quand même faire des trucs bien”, et c’est aus­si “Révo­lu­tion fran­çaise → Ter­reur, Révo­lu­tion russe → gou­lags, Guerre d’in­dé­pen­dance → Guan­ta­na­mo et assaut sur le Capi­tole : c’est pas un hasard, c’est un méca­nisme uni­ver­sel, et qui­conque vous pro­met de faire une socié­té par­faite veut au mieux vous exploi­ter, au pire vous lobotomiser”.

Ne pas réa­li­ser ça, c’est en fait être inca­pable de se pro­je­ter dans la méta­phore, c’est signe que l’on prend tout au pre­mier degré. S’il faut racon­ter l’his­toire d’un humain qui souffre dans un cadre humain (genre Un homme nom­mé Che­val ou La nuit du 122) pour que vous com­pre­niez que ça parle de souf­france, c’est vous qui avez un pro­blème. Les autres per­sonnes sont par­fai­te­ment capables de com­prendre que Les nou­veaux mutants, Logan et consorts parlent de la même chose – l’ex­pé­rience humaine du rejet et de l’ac­cep­ta­tion ou non — que Danse avec les loups ou Taxi dri­ver.

Sérieu­se­ment, Fran­cein­fo, choi­sis­sez mieux vos inter­ve­nants. Enchaî­ner une cré­ti­ne­rie et une posi­tion plus nuan­cée (oui, la dame qui pas­sait après, dont je n’ai hélas pas rete­nu le nom tel­le­ment j’é­tais éner­vé, a dit des choses beau­coup plus sub­tiles et construc­tives), ça fait pas un débat intel­li­gent. Il y a plein de cri­tiques à faire sur les block­bus­ters, mais là votre inter­ve­nant ne par­ta­geait aucun pro­pos de ce genre, juste son inca­pa­ci­té à com­prendre les paraboles.

  1. J’ai pas encore vu le dixième, mais j’ai vu les neuf pré­cé­dents, oui c’est héroïque, oui je vais continuer.
  2. Qui sont tous deux excel­lents, hein, j’ai pas pris ces exemples au hasard : on peut faire de très grands films au pre­mier degré.