I.±V.G.

L’IVG n’est pas tou­jours un sujet facile à abor­der en socié­té. C’est un des sujets qui dégé­nèrent encore faci­le­ment en engueu­lade entre contemp­teurs des assas­si­nats de bébés et tenants de la liber­té de choi­sir sa vie, y com­pris dans une socié­té rela­ti­ve­ment laïque comme la nôtre.

Mon expé­rience me dicte qu’à par­tir du moment où je dis que je suis plu­tôt contre l’a­vor­te­ment en règle géné­rale, on me tombe des­sus à bras rac­cour­cis comme si j’a­vais appe­lé au meurtre des méde­cins pra­ti­quant l’IVG. Et il m’est réci­pro­que­ment arri­vé de rece­voir des regards outrés de croyants en disant que pour moi, il serait nui­sible de l’in­ter­dire. Pour­tant, j’y mets tou­jours les formes, avec des “plu­tôt” et des “en règle géné­rale”, mais rien n’y fait : c’est un des tabous du moment, on est obli­gé d’être radi­ca­le­ment pour ou contre, on n’a pas le droit d’être “oppo­sé à l’acte mais favo­rable au droit d’y recourir”.

Je vais donc com­men­cer par là, en espé­rant que tout le monde aura le sang-froid de lire atten­ti­ve­ment et jus­qu’au bout avant de me tom­ber dessus.

Glo­ba­le­ment, donc, disais-je, je n’aime pas l’IVG. Des solu­tions par anti­ci­pa­tion existent : capote, pilule, implants divers… Les nou­velles géné­ra­tions de sté­ri­lets, comme les implants sous-cuta­nés, pré­mu­nissent presque tota­le­ment des gros­sesses — et ne posent pas le pro­blème de l’ou­bli qui plombe les per­for­mances de la clas­sique pilule, extrê­me­ment effi­cace chez les femmes capables de la prendre régu­liè­re­ment mais aléa­toire chez les têtes-en-l’air et nau­séeuses chro­ni­ques¹. Ces solu­tions évitent tout à la fois un pas­sage par l’hô­pi­tal, avec le congé qu’il sup­pose, et les consé­quences psy­cho­lo­giques d’une IVG — pas simple à gérer, même chez les athées les plus endurcies.

Ceci étant, il est hors de ques­tion d’in­ter­dire l’IVG. Celle-ci est en effet un moindre mal : dans bien des cas, avoir un enfant est bien pire qu’in­ter­rompre une gros­sesse — et je ne parle même pas des avor­te­ments dans des condi­tions de salu­bri­té dou­teuses qui étaient la règle avant la loi Weil². Pour la mère, qui va se voir pour­rir la vie, et pour l’en­fant, pour qui c’est déjà pas tou­jours facile quand il est dési­ré et pour qui ça risque d’être bien pire s’il ne l’est pas.

On peut cyni­que­ment dire qu’à par­tir du moment où on a un rap­port sexuel, on doit en accep­ter les consé­quences, et bien fait pour la mère (sous-enten­du : cette traî­née qui se laisse aller à ses plus bas ins­tincts) ; mais outre que c’est com­plè­te­ment cré­tin, il faut admettre que par­fois, l’in­té­rêt de l’en­fant lui-même est de ne pas naître. Le droit à l’IVG est une des avan­cées majeures dans l’é­man­ci­pa­tion vis-à-vis des reli­gions, mais aus­si dans l’a­van­ce­ment vers la civi­li­sa­tion : ne pas impo­ser la vie à des gens qui y seront reje­tés dès la naissance.

La mère, l’en­fant… Le père ? Oh, lui, il s’en fout : il est déjà par­ti sau­ter quel­qu’un d’autre.

C’est le vrai point de départ de ce billet : j’ai réa­li­sé récem­ment qu’un cer­tain nombre de femmes de mon entou­rage ont recou­ru à l’IVG. Elles ont toutes des his­toires dif­fé­rentes, à base de confiance rom­pue ou d’ ”acci­dent” idiot (je mets “acci­dent” entre guille­mets parce que ça a sou­vent un côté acte man­qué assez freu­dien quand on creuse un peu). Cer­taines ne vou­laient pas d’en­fants et n’en ont tou­jours pas, d’autres n’en vou­laient pas et en ont eu volon­tai­re­ment depuis, d’autres en vou­laient déjà mais cf. plus bas, d’autres en avaient eu avant. Cer­taines IVG suivent une rup­ture sen­ti­men­tale, d’autres la pré­parent, d’autres encore n’ont rien à voir.

Toutes ces his­toires ont cepen­dant un point com­mun : le mâle. Ou son absence. Je pense en par­ti­cu­lier à trois cas qui me touchent de plus ou moins près.

Une qui dit “c’é­tait pas pos­sible” et quand on creuse, on s’a­per­çoit que c’é­tait pas pos­sible pour lui parce qu’il avait autre chose de pré­vu pour les pro­chaines années.

Une qui dit “c’é­tait pas le moment” et où l’on voit que dans les mêmes condi­tions, un an plus tard, avec un autre mec, ça devient le moment… par­don, ça devient “bon ben, on tente le coup”.

Une qui dit direc­te­ment “il vou­lait pas”, avant d’a­jou­ter “la pro­chaine fois, si je tombe enceinte, ça sera mon choix et j’en par­le­rai même pas au père”…

Et, les mecs, z’a­vez pas les oreilles qui sifflent ?

En creu­sant un peu, j’ai l’im­pres­sion qu’il y a pas mal de femmes qui se pose­raient la ques­tion dif­fé­rem­ment si nous³ étions un peu plus res­pon­sables de nos actes. Qui choi­sissent rapi­de­ment, avant même d’y réflé­chir — sur­tout, ne pas prendre le risque d’y réflé­chir, même ! —, l’in­ter­rup­tion parce qu’elles ne veulent pas éle­ver un enfant seules et anti­cipent la fuite de leur connard mec. Qui, si elles avaient “le bon” (ou un truc appro­chant) à dis­po­si­tion, pren­draient le risque de gar­der leur gos­se⁴ et seraient peut-être même heu­reuses de l’avoir.

Bref, encore une fois, il y a dans ce domaine des femmes qui assument quand leur mâle ne se sent pas concer­né. Qui font des choix qu’un mec est inca­pable de faire. Et qui, au final, en chient à cause des hommes.

Pour conclure, la pen­sée du jour (pas neuve, même si j’ar­rive plus à retrou­ver la cita­tion exacte, il me semble que c’é­tait du Pagnol pour­tant) : c’est pas pour bai­ser qu’il faut avoir des couilles, c’est pour assu­mer après.

PS : ça va sans dire, mais encore mieux en le disant : même si j’ai essayé de ne pas livrer d’in­for­ma­tion trop pré­cise, peut-être cer­tains de mes lec­teurs recon­naî­tront-ils cer­taines des femmes dont je parle ici. Mer­ci, si c’est le cas, de gar­der ça pour vous.

¹ Au pas­sage, on s’en prend tou­jours aux femmes pour tout ce qui concerne les gros­sesses : la pilule mas­cu­line, ça fait des lustres qu’on en parle, mais on l’at­tend toujours…

² Simone Weil n’a elle-même pas par­lé de choix sans consé­quence, mais s’est appuyée pour défendre sa loi sur les cen­taines de femmes muti­lées ou tuées chaque année dans des avor­te­ments mal réalisés.

³ Je dis “nous” col­lec­ti­ve­ment, il y a aus­si des hommes qui ont des couilles, cf. “on tente le coup” ci-des­sus… et le nombre de copains, crois­sant d’an­née en année, qui font un gosse avec leur femme en toute connais­sance de cause, voire avec bonne volonté.

⁴ Quelque part, ça me conforte aus­si dans mon impres­sion qu’un “oubli” de pilule est sou­vent plus un acte man­qué qu’une réelle dis­trac­tion, mais c’est une autre question.