Déchéance

Je dois être un peu bête, mais je ne com­prends pas. Ça fait pour­tant plus d’une semaine que je retourne le pro­blème dans tous les sens.

En résu­mé, on veut modi­fier le droit de la natio­na­li­té fran­çaise afin de pou­voir la reti­rer à tous les indi­vi­dus pos­sé­dant au moins une autre natio­na­li­té et ayant atten­té aux inté­rêts de la France. Je ne vais pas par­ler de l’in­té­rêt de cette mesure (les per­sonnes concer­nées sont peu nom­breuses, pas inté­res­sées par la natio­na­li­té fran­çaise, et la seule dif­fé­rence pra­tique serait la pos­si­bi­li­té de les expul­ser à la fin de leur peine, ce qui reste théo­rique puisque, a prio­ri, elles encour­raient à peu près la réclu­sion cri­mi­nelle à per­pé­tui­té ; à vue de nez, cette idée reste donc pure­ment symbolique).

On me dit que c’est un scan­dale, que ça crée une dis­tinc­tion entre Fran­çais seule­ment fran­çais et Fran­çais éga­le­ment autre chose.

Ah.

Mais si je ne m’a­buse, il y a déjà une dis­tinc­tion. L’article 25 du Code civil sépare “l’in­di­vi­du qui a acquis la qua­li­té de fran­çais” du reste des Français.

En quoi dif­fé­ren­cier les Fran­çais de nais­sance des Fran­çais d’ac­qui­si­tion est-il moins dis­cri­mi­na­toire ? On a d’ores et déjà, sur la ques­tion de la déchéance de natio­na­li­té, une dis­tinc­tion entre deux niveaux de citoyen­ne­té, selon la façon dont on a obte­nu la natio­na­li­té fran­çaise — selon qu’on est né avec ou pas. Cela me paraît d’au­tant plus cho­quant qu’il s’a­git ici d’un droit de nais­sance, le même genre de pri­vi­lège qu’on pré­ten­dait avoir abo­li un cer­tain 4 août.

La nou­velle dis­po­si­tion n’in­dui­rait en fait pas une dis­cri­mi­na­tion sup­plé­men­taire, mais met­trait fin à la dis­cri­mi­na­tion entre nés Fran­çais et deve­nus Français.

Quant à dire qu’elle crée­rait une dif­fé­rence de trai­te­ment entre mul­ti­na­tio­naux et titu­laires de la seule natio­na­li­té fran­çaise, je suis déso­lé de vous le dire : elle existe déjà. C’est d’ailleurs un dos­sier dif­fé­rent, qui dépasse très lar­ge­ment le cas français.

C’est l’article 15 de la Décla­ra­tion uni­ver­selle des droits de l’homme qui sti­pule que “tout indi­vi­du a droit à une natio­na­li­té”. Il inter­dit donc de créer des apa­trides : on ne peut pas reti­rer sa natio­na­li­té à celui qui n’en a pas d’autre. Ça n’est pas une dis­po­si­tion fran­çaise, mais une dis­po­si­tion de l’O­nu ; elle n’im­pose pas de contrainte juri­dique (la Décla­ra­tion uni­ver­selle est pure­ment gra­tuite, au contraire de plein de docu­ments simi­laires qui ont valeur légale ou consti­tu­tion­nelle dans cer­tains États, de la Magna car­ta à la Décla­ra­tion des droits de l’homme et du citoyen), mais si les États signa­taires sont un peu cohé­rents, ils doivent tous l’ap­pli­quer d’une façon ou d’une autre.

Par exemple, Manuel Valls peut nuire à la France autant qu’il le sou­haite, il ne pour­ra pas être déchu de la natio­na­li­té fran­çaise : il n’est plus Espa­gnol, la double natio­na­li­té n’é­tant pas pos­sible à l’é­poque où il a été natu­ra­li­sé fran­çais ; Eva Joly, elle, peut l’être puisque la Nor­vège la recon­naît tou­jours comme une de ses ressortissants.

Aujourd’­hui, il y a donc une dis­cri­mi­na­tion basée sur le simple fait d’être né, les Fran­çais de nais­sance ne pou­vant être déchus tan­dis que les Fran­çais d’ac­qui­si­tion le peuvent, et une seconde basée sur le fait d’a­voir une autre natio­na­li­té, les Fran­çais d’ac­qui­si­tion n’ayant plus leur natio­na­li­té d’o­ri­gine ne pou­vant être déchus tan­dis que les Fran­çais d’ac­qui­si­tion l’ayant conser­vée le peuvent.

Le pro­jet actuel sup­prime la pre­mière dis­cri­mi­na­tion. En quoi est-ce choquant ?

Quant à sup­pri­mer la seconde dis­cri­mi­na­tion, il n’y a qu’une solu­tion : sup­pri­mer toute pos­si­bi­li­té de déchéance de natio­na­li­té — que tout Fran­çais, quelle que soit l’o­ri­gine de cette qua­li­té, le reste jus­qu’à la mort. J’ai cru com­prendre que ça n’é­tait pas prévu.