Pollution

Aujourd’­hui, j’ai repen­sé à cette petite anec­dote. Je m’en vais donc vous la conter.

Ça se passe il y a… quelques années, j’é­tais encore au lycée. Un Pari­sien de pas­sage dans sa rési­dence secon­daire avait lâché au détour d’une conver­sa­tion avec un Diois un truc du style “tout de même, tu dis être proche de la nature, mais tu roules en 4x4 et les 4x4 ça pollue”.

Le Diois fai­sait quelque chose comme 2000 bornes par an pour aller faire les courses, bos­ser au vil­lage d’à côté et, de temps en temps, pro­me­ner en mon­tagne. Bien content de sa vie au milieu des bois, il pas­sait ses vacances chez lui et ne sor­tait du dépar­te­ment qu’exceptionnellement.

Le Pari­sien fai­sait deux allers-retours par an entre l’Île-de-France et la Drôme pour pas­ser ses vacances dans un endroit moins invi­vable que sa ban­lieue sur­peu­plée. Rien que pour les vacances, sans comp­ter sa vie quo­ti­dienne le reste de l’an­née, le pari­got rou­lait plus que le kilo­mé­trage total du péquenot.

Suzuki Jimny © Fghaam / Renault Espace © Vauxford / CC-BY-SA
Suzu­ki Jim­ny © Fghaam ; Renault Espace © Vaux­ford / CC-BY-SA

Pour ne rien arran­ger, l’au­toch­tone uti­li­sait un Suzu­ki Jim­ny, le résident secon­daire un Renault Espace. Je m’en dou­tais vague­ment, je viens de cher­cher pour être sûr : le Jim­ny 1.3 émet­tait dans les 171 gCO₂/km1 ; l’Espace 3 dT émet­tait 198 gCO₂/km. Même à kilo­mé­trage égal, le plus pol­lueur des deux n’au­rait donc pas été le 4x4.

J’a­vais une grosse quin­zaine d’an­nées quand j’ai assis­té à cette conver­sa­tion2, et ce jour-là, j’ai com­pris beau­coup de choses sur les dogmes et leur nui­sance poten­tielle. Et sur leur infil­tra­tion dans le milieu éco­lo­giste, aussi.

Pour­quoi je repense à ça aujourd’hui ?

À cause de la maire de Poi­tiers bien sûr. Dont les cita­tions du week-end ont remis au goût du jour ce dogme3 : l’a­vion, ça pollue.

J’ai fait les comptes. Pre­nons Camille, qui habite à Poi­tiers. Camille a 20 ans4 et quel­qu’un à séduire. Camille sou­haite donc l’emmener pas­ser la jour­née à La Tranche-sur-Mer, pour pro­me­ner dans un coin un peu sau­vage et se câli­ner au bord de l’o­céan. En voi­ture, il faut comp­ter 175 km par l’A10 et l’A83. À 130 km/h, sa Clio TCE 90 consomme autour de 6,5 l aux 100 : elle boi­ra donc une dou­zaine de litres. Ima­gi­nons main­te­nant que Camille pré­fère com­men­cer par une petite balade de 30 min pour se rendre à l’aé­ro-club du Poi­tou et y prendre le SportS­tar. De l’aé­ro­drome de Poi­tiers à celui de La Tranche5, il y a 135 km. Cela repré­sente 0,8 heure de vol à 15 l/h, soit une dou­zaine de litres.

La consom­ma­tion, sur ce tra­jet qui n’a rien d’ex­cep­tion­nel en voi­ture ni en avion, est exac­te­ment la même. Pour un par­cours plus favo­rable à l’a­vion (un coin où les routes sont tor­dues, par exemple), il pol­lue­rait moins que la voi­ture. En fait, même sur ce tra­jet Poi­tiers — la Tranche, l’a­vion pol­lue moins, si on prend en compte les par­ti­cules de pneus dis­sé­mi­nées par la voi­ture tout au long du tra­jet et l’en­tre­tien de 130 kilo­mètres de bitume contre 2,3 km6.

Clio © M 93 / Sportstar © Evektor-Aerotechnik / CC-BY-SA
Renault Clio © M 93 ; Evek­tor Sports­tar © Evek­tor-Aero­tech­nik / CC-BY-SA

Un éco­lo­giste concret, qui s’in­té­resse réel­le­ment à la pol­lu­tion et à la sau­ve­garde de la pla­nète, dira donc que voi­ture ou avion, ça ne change rien. Soit il trou­ve­ra rai­son­nable que Camille et son coup de cœur passent leur jour­née à la mer, soit il trou­ve­ra que ce dépla­ce­ment est en lui-même un gas­pillage à évi­ter. Dans tous les cas, le mode de trans­port lui impor­te­ra peu. Tout au plus pour­ra-t-il regret­ter qu’il faille 4 à 6 heures de train pour aller de Poi­tiers à… La Roche-sur-Yon (ajou­tez une demi-heure de voi­ture ou une heure de correspondance+train pour Les Sables-d’O­lonne par exemple), ce qui rend le fer tota­le­ment inuti­li­sable pour ce style d’es­ca­pade au bord de l’eau.

Si un éco­lo­giste dit à Camille : “l’a­vion, ça pol­lue”, mais ne voit pas de pro­blème à faire ce dépla­ce­ment en voi­ture, vous savez que ce n’est pas un éco­lo­giste, mais un prêtre d’une nou­velle reli­gion — qui, comme celles qui l’ont pré­cé­dée, se réfère stric­te­ment aux dogmes sans se pré­oc­cu­per de la réalité.

Note : ce billet a été écrit par quel­qu’un qui a été ber­cé par Cous­teau et Hulot. J’ai fait par­tie des fon­da­teurs d’un club envi­ron­ne­ment dans mon col­lège, je triais mon papier à l’é­poque où il fal­lait le por­ter soi-même à la déchet­te­rie, j’ai voté pour Voy­net en 2007, Joly en 2012 et Hamon en 2017, j’ai encore voté Cou­tant aux muni­ci­pales de l’an pas­sé, je milite à chaque occa­sion pour l’as­sou­plis­se­ment des règles de cer­ti­fi­ca­tion afin de pou­voir rapi­de­ment rem­pla­cer tous les vieux Conti­nen­tal et Lyco­ming par des moteurs plus modernes, moins gour­mands et accep­tant la sans-plomb E5, j’at­tends avec impa­tience que les Velis se répandent dans les aéro-clubs, je fais mes courses à vélo (après les avoir faites à pied pen­dant 13 ans)… Bref, je suis un bobo-éco­lo de base, dou­lou­reu­se­ment conscient de mon empreinte envi­ron­ne­men­tale, et je suis le pre­mier à dire qu’il faut dans l’en­semble limi­ter nos dépla­ce­ments (et plus encore nos achats de gad­gets chinois).

Et il se trouve que je suis plus en phase avec mes convic­tions aujourd’­hui, en tant que pilote pri­vé qui n’u­ti­lise pas de moteur à explo­sion au quo­ti­dien mais prend un MCR pour aller au bord de l’eau de temps en temps, que quand j’é­tais ter­rien et que j’al­lais bos­ser en voiture.

  1. C’é­tait un phase 1 et les chiffres les plus anciens que j’ai trou­vés concernent la phase 2, mais le moteur n’a pas changé.
  2. Cer­tains détails ont été chan­gés pour pré­ser­ver les sus­cep­ti­bi­li­tés des per­sonnes concer­nées, mais je vous pro­mets que le fond est 100 % authentique.
  3. Qu’elle n’a pas expri­mé elle-même, mais elle l’a for­te­ment sous-enten­du en disant qu’il fal­lait empê­cher les enfants de rêver à l’aviation.
  4. Oui, j’ai pris le pre­mier pré­nom épi­cène de la liste.
  5. Ter­rain pri­vé mais où les visi­teurs sont bienvenus.
  6. Oui, j’at­tri­bue géné­reu­se­ment au SportS­tar toute la piste bitu­mée de Poi­tiers, même s’il se conten­te­rait volon­tiers de celle en herbe.