Concentration

A man hears what he wants to hear, and dis­re­gards the rest.

Il y a quelques jours, je sais plus trop pour­quoi, je par­lais avec une consœur du Monde de Char­lie, qu’elle a lu mais pas vu et moi le contraire. Et elle par­lait d’un aspect par­ti­cu­lier du bou­quin, la rela­tion entre le per­son­nage prin­ci­pal et sa tante. Et ça ne m’é­vo­quait pas grand-chose, peut-être un vague truc dif­fus mais sûre­ment pas un élé­ment important.

Réa­li­sant au pas­sage que je n’a­vais jamais revu ce film qui m’a­vait bou­le­ver­sé il y a un an et demi, je me suis déci­dé à me refaire une petite pro­jec­tion tran­quille à domicile.

Et là, je me rends compte d’un truc : dans “concen­tré”, y’a pas que “cen­tré”.

Parce que la tante Helen, en fait, elle infuse une bonne par­tie du film, jus­qu’à deve­nir un élé­ment moteur de l’in­trigue dans les der­nières scènes.

En fait, y’a deux his­toires dans cette his­toire. Celle du gosse trop culti­vé et trop réser­vé pour s’in­té­grer, qui trouve acci­den­tel­le­ment des tarés dans son genre et finit par trou­ver des avan­tages à être un paria.

Et celle du mania­co-dépres­sif qui gère plus ou moins ses fan­tômes, notam­ment les traces de cette tante morte en allant ache­ter son cadeau d’anniversaire.

J’ai pas vu la deuxième. J’ai une excuse : j’é­tais trop concen­tré sur la pre­mière, qui racon­tait ma vie avec une fidé­li­té par­fois sur­pre­nante — la scène que l’au­teur a dû regar­der trois minutes de ma vie pour les faire rejouer aux acteurs, en fait, je me suis ren­du compte que les per­son­nages ont plus ou moins été inver­sés, mais à part ça je suis encore res­té scot­ché, et c’est pas la seule…

Charlie
La scène où Char­lie n’ose pas dire “je vou­drais être avec toi” et où Sam ne dit pas “je devrais être avec toi”.
Pho­to Sum­mit Enter­tai­ne­ment, d’a­près Franck à la ville.

Du coup, pour moi, le film s’é­tait arrê­té quand son rap­port avec moi s’é­tait arrê­té. C’est quand même, mine de rien, les dix der­nières minutes que j’ai pure­ment et sim­ple­ment zap­pées, blo­qué sur la der­nière séquence de mon propre film.

L’a­van­tage de cette conneriecen­tra­tion, évi­dem­ment, c’est que j’ai revu un film com­plè­te­ment dif­fé­rent du pre­mier — tout en res­tant bien enten­du le même. J’ai redé­cou­vert cer­tains per­son­nages, j’ai fait connais­sance avec la par­tie de Char­lie qui n’est pas moi, j’ai vu une seconde œuvre plus variée et plus profonde.

En y repen­sant, c’est un peu comme pour Le Meilleur Film De Tous Les Temps, vous savez, celui qui a fait connaître Sam Mendes (pour lequel d’ailleurs il fau­dra que je refasse un papier un jour, je l’a­vais vu que trois ou quatre fois à l’é­poque où j’ai écrit celui-ci).

La pre­mière fois, j’ai vu l’his­toire du type qui se réveille à qua­rante ans et se rend compte qu’il a tou­jours sui­vi les rails sans se deman­der ce qu’il vou­lait vrai­ment, lui (et, au pas­sage, si je suis pas ana­lyste-pro­gram­meur, c’est un peu grâce à ce miroir).

Beauty
“Je viens de faire un truc qui me fait plai­sir, et en plus ça fait chier la har­pie. C’est vrai­ment pas désa­gréable en fait.”
Pho­to Dreamworks.

La deuxième fois, je me suis dit que par­fois, il y a tel­le­ment de beau­té dans ce film que c’en est insoutenable.

La troi­sième fois, j’ai vu tous ces êtres dont les rêves se heurtent à la réa­li­té, qui veulent être popu­laires, qui veulent réus­sir, qui veulent être forts, qui veulent être libres, et com­ment tout finit tou­jours par leur péter à la gueule.

La qua­trième fois, j’ai vu cette fable sur les appa­rences, celles qu’on entre­tient pour s’in­té­grer, celles qu’on fait voler en éclat quand on ne les sup­porte plus.

La cin­quième fois… La cin­quième fois, je sais plus, j’ai com­men­cé à perdre le compte des Ame­ri­can beau­ties, mais je sais que cette œuvre pro­téi­forme avait encore muté, elle mute tou­jours, à chaque fois que je lui accorde une paire d’heures.

La première fois où j'ai vu le film, j'ai vu une bonne douzaine de personnes, juste sur cette image.
La pre­mière fois, j’ai recon­nu une bonne dou­zaine de per­sonnes juste sur cette image. Du coup j’ai pas vu le reste du film.
Pho­to de John Bram­ley pour Sum­mit Entertainment.

Je sais pas quel sera le sujet du monde de Char­lie la troi­sième fois où je le ver­rai. Je sais juste qu’il m’a­vait par­lé très inti­me­ment la pre­mière fois, qu’il m’a­vait racon­té ma vie, qu’il m’a­vait mon­tré d’où je venais et que je m’é­tais concen­tré là-des­sus jus­qu’à oublier le reste. Et que ce soir, j’ai vu un deuxième monde de Char­lie, moins fami­lier, mais plus pro­fond et quelque part plus construit. Et que peut-être, la pro­chaine fois, j’au­rai droit à un troi­sième film encore différent.

Et je crois que c’est tou­jours un peu l’es­poir de trou­ver des phé­no­mènes de ce genre qui me pousse à conti­nuer à pas­ser des heures dans les salles obs­cures, sans presque jamais pen­ser à y invi­ter quel­qu’un — parce que bon, avoir une jolie fille dans le siège à côté, ça ris­que­rait de nuire à ma concentration…

…pis elle ris­que­rait de me repro­cher de l’a­voir oubliée pen­dant deux heures, aus­si. O:-)