Ne crachons pas sur les placebos

Je ne sais pas exac­te­ment pour­quoi, mais depuis quelques jours, mon mur Face­book est rem­pli d’ho­méo­pa­thie. Comme d’ha­bi­tude, ça débouche sur la même éter­nelle que­relle de clo­chers entre les car­té­siens (“mais putain c’est pas des médocs c’est du sucre ven­du au prix de l’or c’est une escro­que­rie point barre !”) et uti­li­sa­teurs (“oui ben chez moi ça marche alors d’où vous me faites la leçon bordel ?”).

Et comme d’hab, je suis vague­ment affligé.

Com­men­çons par la fausse ques­tion : est-ce efficace ?

Rap­pel : un médi­ca­ment effi­cace, au sens médi­cal du terme, ça ne veut pas dire qu’on gué­rit quand on le prend. Ça ne veut même pas dire qu’on gué­rit mieux quand on le prend que quand on le prend pas. Ça veut dire qu’on gué­rit mieux quand on le prend que quand on prend un pla­ce­bo sans savoir si on prend le pla­ce­bo ou le médicament.

Tous les médi­ca­ments n’ont pas pour voca­tion de gué­rir, mais le prin­cipe demeure : par exemple, ceux qui prennent de la mor­phine pour lut­ter contre une dou­leur ont moins mal que ceux qui prennent un pla­ce­bo pour lut­ter contre une dou­leur simi­laire, cela démontre l’ef­fi­ca­ci­té de la mor­phine. Ceux qui prennent du Subu­tex pour jugu­ler le manque lors­qu’ils arrêtent la mor­phine ont moins de symp­tômes que ceux qui prennent un pla­ce­bo, cela démontre l’ef­fi­ca­ci­té du Subu­tex. Ceux qui prennent des bon­bons à la menthe pour jugu­ler le manque lors­qu’ils arrêtent le Subu­tex montrent exac­te­ment les mêmes symp­tômes que ceux qui prennent des bon­bons à la fraise, cela démontre que la menthe n’est qu’un pla­ce­bo dans la lutte contre le manque.

Pour­quoi dis-je que c’est une fausse ques­tion pour l’homéopathie ?

C’est simple : les études sur son effi­ca­ci­té ne manquent pas. Hor­mis celles finan­cées par les labo­ra­toires et quelques-unes aux métho­do­lo­gies dou­teuses (échan­tillons trop faibles, pas de pla­ce­bo, …), elles arrivent toutes à la même conclu­sion : l’ho­méo­pa­thie est un pla­ce­bo. Ni plus, ni moins. À la limite, le seul effet des com­pri­més homéo­pa­thiques, ça pour­rait être sur la gly­cé­mie, vu qu’ils incluent en géné­ral du sucre, mais vu le volume d’une gélule il fau­drait prendre des doses sévères.

Le débat, à ce niveau, n’existe pas : l’ho­méo­pa­thie est garan­tie 100 % inef­fi­cace, au sens médi­cal du terme.

Pour­quoi alors autant de gens disent que l’ho­méo­pa­thie marche ?

Parce que c’est vrai. La défi­ni­tion com­mune de “ça marche pour moi” n’est pas la défi­ni­tion médi­cale de “c’est effi­cace”. La défi­ni­tion de “ça marche pour moi” est “je res­sens un effet quand j’en prends”.

Or, les pla­ce­bos ont un effet.

C’est une véri­té pro­fonde, qu’on a ten­dance à oublier beau­coup trop sou­vent dans ce débat. Les pla­ce­bos sont effi­caces sur l’homme, qui se convainc qu’il va aller mieux, garde le moral, sup­porte mieux la dou­leur et l’im­pa­tience, sim­ple­ment parce qu’il se donne l’im­pres­sion de faire quelque chose au lieu de subir passivement.

Un pla­ce­bo a un effet, même quand on sait que c’est un pla­ce­bo, parce que le simple fait de le prendre sort l’u­ti­li­sa­teur de sa pas­si­vi­té : aucun accro au tabac ne vous dira que les bon­bons à la menthe sont un médi­ca­ment anti-manque, mais ils sont nom­breux à dire que prendre des bon­bons à la menthe aide, parce que ça leur met un autre goût dans la bouche, parce que ça leur per­met de conser­ver le geste de por­ter un truc à sa bouche, parce que ça leur per­met de se concen­trer sur autre chose que leur clope, etc.

Un pla­ce­bo a même un effet sur les ani­maux com­men­saux de l’homme, parce qu’ils sont sen­sibles au fait que quel­qu’un s’oc­cupe d’eux avec une into­na­tion et une atti­tude rassurante.

Que les labo­ra­toires Boi­ron fassent une for­tune en ven­dant un pla­ce­bo plus cher que beau­coup d’autres pla­ce­bos, c’est lar­ge­ment recon­nu. Cela veut-il dire qu’ils ne font pas de bien ? Non. Comme beau­coup de prin­cipes psy­cho­lo­giques, le coût lui-même a un effet : de même qu’une séance de thé­ra­pie à 80 € peut avoir plus d’ef­fet qu’une séance de thé­ra­pie à 40 € parce que le patient y atta­che­ra plus de son psy­chisme, une gélule de sucre à 1 € peut avoir plus d’ef­fet que la même gélule de sucre à 0,50 € parce que le patient s’y sera plus investi.

Il est peut-être temps d’ar­rê­ter cette guerre futile : si les gens pré­fèrent prendre un pla­ce­bo que rien du tout, c’est leur droit le plus strict. Je com­prends que ça puisse aga­cer quand cer­tains pré­tendent que l’ho­méo­pa­thie est une science médi­cale, mais ça ne veut pas dire que l’on doit taper sur les placebos.

Après tout, je prends des pla­ce­bos. Après m’être écra­sé un doigt dans une porte, trou­ver un car­reau de cho­co­lat m’aide à lut­ter contre la dou­leur. Et s’il y a une amande dedans, ça marche encore mieux. J’ai jamais pré­ten­du que le cho­co­lat aux amandes soit un médi­ca­ment effi­cace, mais c’est un trai­te­ment anti-dou­leur qui marche. Pour­quoi ne pas le respecter ?