Permis : le drame du bachotage

Il y a un peu plus d’un an, je pas­sais l’exa­men théo­rique de pilote pri­vé, après six mois à plon­ger le nez dans Le manuel de pilo­tage d’a­vion dès que j’a­vais cinq minutes et trois à enchaî­ner les tests chez Gli­gli pour me fami­lia­ri­ser avec les questions.

L'examen théorique, c'est fait. Reste une vingtaine d'heures avant le pratique.
L’exa­men théo­rique, c’est fait. Reste une ving­taine d’heures avant le pratique.

Un jour, à l’aé­ro-club, en dis­cu­tant de la dif­fi­cul­té ou de la faci­li­té de l’exa­men, l’une des per­sonnes pré­sentes a dit un truc du genre :

Moi, je l’ai eu avec 98 % de bonnes réponses. J’ai fait au plus simple : j’ai appris par cœur toutes les questions.

Ah.

Pour ma part, à chaque fois que je foi­rais une ques­tion, je cher­chais où était mon erreur : com­ment, dans le che­mi­ne­ment entre l’é­non­cé et la réponse, je m’é­tais plan­té. Il y avait notam­ment des ques­tions de ce genre :

Votre prise de pres­sion sta­tique est bou­chée. En finale :
A- L’al­ti­mètre indi­que­ra une alti­tude sur­éva­luée, le badin une vitesse surévaluée ;
B- L’al­ti­mètre indi­que­ra une alti­tude sous-éva­luée, le badin une vitesse surévaluée ;
C- L’al­ti­mètre indi­que­ra une alti­tude sur­éva­luée, le badin une vitesse sous-évaluée ;
D- L’al­ti­mètre indi­que­ra une alti­tude sous-éva­luée, le badin une vitesse sous-évaluée.

Soyons clair : si un jour, en vol, vous avez un n’im­porte quoi qui vient bou­cher votre prise de pres­sion sta­tique, savoir par cœur que c’est la réponse A ne vous aide­ra pas.

En revanche, savoir que dans cette situa­tion, la pres­sion sta­tique mesu­rée res­te­ra proche de celle de la croi­sière, donc que l’al­ti­tude indi­quée res­te­ra vers 4500 ou 6500 pieds (par exemple) au lieu de redes­cendre vers celle de l’aé­ro­drome ; que la pres­sion sta­tique sera sous-éva­luée alors que la pres­sion totale mesu­rée sera cor­recte, et que donc la dif­fé­rence entre les deux sera sur­éva­luée ; que donc la vitesse indi­quée sera sur­éva­luée et que vous ris­quez de décro­cher avec la finesse d’une clef à molette alors que vous aurez tou­jours 80 ou 100 kt au badin… Oui, savoir cela, ça peut lit­té­ra­le­ment vous sau­ver la vie.

(Bien sûr, le fait que X‑Plane ait eu la bonne idée de me faire une panne de pres­sion sta­tique en approche quelques mois plus tôt m’a aidé à prendre conscience de l’im­por­tance du phénomène.)

Tout ça pour dire qu’ap­prendre par cœur une liste de réponses, c’est idéal pour avoir l’exa­men du pre­mier coup avec un score de dic­ta­teur congo­lais. Mais ça n’ap­prend abso­lu­ment pas à gérer la vraie vie.

Ces jours-ci, on parle beau­coup du nou­vel exa­men du per­mis de conduire, mis à jour avec de nou­velles dia­pos (c’est dom­mage, en 1997 on trou­vait déjà ça émou­vant de revoir un cul de GS dou­bler une Sam­ba et de nous deman­der ce qu’on devait faire, dans ce qui res­sem­blait fort à l’in­té­rieur d’une R5). Le taux de réus­site, paraît-il serait pas­sé de 70 % à 16,7 %.

Du coup, on fait ce qu’on fait dans ces cas-là : on retire les ques­tions les plus dif­fi­ciles. On les réin­tro­dui­ra après les avoir pré­sen­tées, afin que les élèves puissent se fami­lia­ri­ser avec des “séries de ques­tions typiques de la réforme”.

C’est curieux, parce qu’il est extrê­me­ment étrange que le taux de réus­site subisse un effon­dre­ment pareil juste parce qu’on a rajou­té des ques­tions inconnues.

Les nou­velles venues parlent plus d’u­sa­gers vul­né­rables, d’é­co­lo­gie, de secou­risme et de nou­velles tech­no­lo­gies. Certes, mais savoir gérer un pié­ton ou un cycliste fait par­tie des com­pé­tences de base d’un conduc­teur depuis fort long­temps. On par­lait déjà de ges­tion de la pol­lu­tion quand j’ai pas­sé le code (ça fait quand même presque vingt ans), et des bases de secou­risme ont été ajou­tées aux pro­grammes de for­ma­tion il y a déjà un petit moment. Ces nou­velles ques­tions sont nou­velles à l’exa­men, mais elles ne demandent pas de maî­tri­ser de nou­veaux domaines de com­pé­tences : qui­conque déci­dait d’ap­prendre à conduire il y a quelques années devait déjà savoir y répondre, avec un peu de bon sens et une connais­sance rai­son­nable du code et de la conduite.

Une nouvelle question, sans Peugeot 104. Une page se tourne. - capture Sécurité routière
Une nou­velle ques­tion, sans Peu­geot 204. Une page se tourne. — cap­ture Sécu­ri­té routière

On a donc un cas mani­feste de foule qui, mas­si­ve­ment, appre­nait par cœur l’exa­men au lieu de réflé­chir au code et à la conduite. De gens qui se met­taient déli­bé­ré­ment en situa­tion de ne rien com­prendre en cas d’im­pré­vu sur la route — et de mon expé­rience, gérer les impré­vus, c’est 90 % du vrai tra­vail du conducteur.

Et au moment où on leur met le nez dedans, ils sont trop nom­breux à mon­trer leur incom­pé­tence, donc on leur refait un exa­men plus facile pour que leur manque de réflexion et de connais­sances ne soit plus un obs­tacle au fait de les lâcher sur les routes.

L’exa­men idéal, il devrait avoir dix mille ques­tions. Il devrait être impos­sible de les pré­pa­rer. C’est la com­pé­tence du futur conduc­teur qui devrait être éva­luée, pas celle du bachoteur.

Vous me direz : “il y a l’exa­men pra­tique aus­si”. Certes. Mais si tout se joue sur l’exa­men pra­tique, on devrait peut-être sup­pri­mer l’exa­men du code, ça ferait éco­no­mi­ser du temps et de l’argent à tout le monde.