Une nuit à Rome

de Jim, 2012–2014, ****

Ils sont amou­reux, ils sont nés le même jour, ils fêtent leurs vingt ans, ils sont bour­rés. Et comme tous les amou­reux bour­rés de vingt ans, ils se font une pro­messe : où qu’ils soient, quoi qu’ils deviennent, il se retrou­ve­ront dans vingt ans pour fêter ensemble leur quarantenaire.

Des cadeaux en forme d'engagement… - dessin Jim
Des cadeaux en forme d’en­ga­ge­ment… — des­sin Jim

Il a trou­vé la femme de sa vie, au bon moment — celui où elle veut des enfants, mais où il n’a pas encore fait une croix sur l’i­dée. Ils construisent tran­quille­ment leur rela­tion. Ils fêtent ses qua­rante ans, et il reçoit une vidéo à laquelle il ne pen­sait plus : celle où il a vingt ans et où il fait cette pro­messe idiote à sa copine d’alors.

Évi­dem­ment, il s’en fout. Évi­dem­ment, il va fêter son anni­ver­saire avec sa femme, chez ses beaux-parents. Évidemment.

Ou bien, il va repen­ser à ses vingt ans, à son enthou­siasme à lui, à ses folies à elle, à leur insou­ciance à eux…

En 2009, je décou­vrais un Jim que je ne connais­sais pas : avec Le der­nier socia­liste, il aban­don­nait une seconde son nez rouge pour se faire cri­tique de mœurs, mon­trant avec un cer­tain cynisme les renon­cia­tions de ses contem­po­rains. Avec Une nuit à Rome, que je viens de décou­vrir suite à la publi­ca­tion d’une très jolie édi­tion inté­grale, c’est une troi­sième facette de l’ar­tiste qui vous saute à la gueule, une facette sub­tile, déli­cate et vague­ment nostalgique.

Le soleil finit toujours par se lever. - dessin Jim
Le soleil finit tou­jours par se lever. — des­sin Jim

Bien enten­du, ça n’est pas juste l’his­toire de la nuit par­ta­gée de deux nou­veaux qua­dra­gé­naires — cela n’au­rait aucun inté­rêt. L’his­toire de Marie, c’est celle d’une femme qui vou­drait res­ter jeune et spon­ta­née, qui a refu­sé de se ran­ger et qui a peur que son âge la rat­trape. Celle de Raphaël, c’est celle d’un homme qui s’est casé, qui a trou­vé son équi­libre et qui a sans doute quelque part un peu refou­lé ses pul­sions d’a­do. Et à tra­vers eux, Jim s’in­té­resse à tous ces ani­maux un peu bizarres qui croient pen­ser avec leur cer­veau — l’homme modèle, marié et père depuis vingt ans, qui ne regarde même pas les autres femmes ; la femme moderne, qui a enfin trou­vé celui qui lui convient et qui a peur de le perdre ; le cou­reur sans fond, qui se sur­prend lui-même à être jaloux de celle qui devait n’être qu’un amu­se­ment ; et tous ceux qui voient leurs amis péter les plombs pour une très lit­té­rale crise de la qua­ran­taine, qui tentent de com­prendre, ou pas.

Le fond, bien sûr, c’est l’âge, la vie, la confron­ta­tion entre les rêves de jeu­nesse et les réa­li­tés de la mi-vie, les men­songes qu’on se sert à soi-même pour se dire qu’on a tou­jours vingt ans ou qu’on est heu­reux de vieillir. Et, aus­si, la façon dont un clin d’œil, un rire, un écho, un élé­ment quel­conque du quo­ti­dien fait res­sor­tir des sou­ve­nirs qu’on pen­sait oubliés et des empor­te­ments qu’on espé­rait maîtrisés.

Tout n’est pas par­fait dans cette œuvre : la rela­tion entre Marie et son pho­to­graphe manque de natu­rel, le retour­ne­ment de Raphaël tombe un peu comme un che­veu sur la soupe… Et un Boeing 747 se trans­forme en Air­bus A340 d’une case à l’autre ! Mais d’autres pas­sages sont magiques et par­le­ront for­cé­ment à tous ceux qui ont eu vingt ans et ne les ont plus, qui ont été amou­reux ou pré­tendent l’a­voir oublié, qui aiment et qui dési­rent. Le tout est por­té par un des­sin déli­cat, clas­sique mais par­fai­te­ment maî­tri­sé et, mal­gré quelques fai­blesses ponc­tuelles, le résul­tat est donc tout à fait recom­man­dable et par­fois fran­che­ment émouvant.