Réforme orthographique

Les révi­sions ortho­gra­phiques de 1990, vous le savez, c’est ma grande pas­sion. Je suis donc avec un cer­tain inté­rêt tout ce qui res­sort depuis quelques jours sur ce sujet, après qu’une chro­ni­queuse ruquie­resque a accu­sé une ancienne ministre de l’É­du­ca­tion d’a­voir impo­sé “ognon” à la place de “oignon” dans le cahier de sa fille, à quoi ladite ministre a répon­du avec un angli­cisme très aga­çant et une véhé­mence toute méri­tée : elle avait treize ans quand l’A­ca­dé­mie fran­çaise a adop­té cette révi­sion et n’a­vait pas d’au­to­ri­té directe sur les édi­teurs qui l’ont mise en appli­ca­tion l’an passé.

Marianne, sous la plume de Pas­cal Marie, vient de publier un grand réca­pi­tu­la­tif fort inté­res­sant. Je le conseille à tous ceux qui seraient éton­nés que leurs têtes blondes écrivent “ognon” ou “évè­ne­ment” — que mon cor­rec­teur auto­ma­tique sou­ligne en rouge : je lui ai dit il y a fort long­temps que je n’ap­pli­que­rais la réforme 90 qu’au cas par cas.

Cet article souffre tout de même d’une énorme approxi­ma­tion. Bon, d’a­bord, il uti­lise “décrypte” au lieu de “explique”, mais ce n’est pas tout.

Si si, on l’emploie

Il pré­tend que la réforme “était très peu employée”. C’est faux.

La France a fait preuve d’une résis­tance assez remar­quable à ce chan­ge­ment (qui n’est pas un chan­ge­ment, d’ailleurs, l’an­cienne ortho­graphe res­tant tout à fait valable : c’est une exten­sion, tout au plus). En Bel­gique, l’or­tho­graphe révi­sée est ren­trée peu à peu à l’é­cole au tour­nant du siècle et on la trouve main­te­nant dans la presse. L’Of­fice qué­bé­cois de la langue fran­çaise l’u­ti­lise lar­ge­ment, de même que cer­taines admi­nis­tra­tions des États canadiens.

On n’u­ti­lise pas la réforme 90 ? Voi­ci un très beau “tocade”, cho­pé sur le der­nier Tan­guy et Laver­dure. Il est vrai que per­sonne n’a com­pris pour­quoi le 20è siècle avait impo­sé l’or­tho­graphe “toquade”, alors que le Lit­tré et les textes anciens uti­li­saient sou­vent la “nou­velle” ortho­graphe. — texte Buendia/Charlier, des­sin Durand/Et­ter-Char­rance

En France, mal­gré la résis­tance tou­jours vive, l’or­tho­graphe révi­sée est la réfé­rence depuis 2008 (sous Dar­cos donc), l’or­tho­graphe clas­sique étant vue comme une variante. Et sur­tout, cer­tains mots sont lar­ge­ment adop­tés sous leur forme révi­sée : vous trou­ve­rez aisé­ment “pla­te­forme” dans la lit­té­ra­ture, presque plus per­sonne n’é­crit “des sce­na­rii”, pas mal de gens mettent désor­mais le tré­ma sur la lettre pro­non­cée (“ambigüe” par exemple), et on trouve faci­le­ment des “tocades” (sans doute sous l’in­fluence de la par­fu­me­rie, il est vrai, mais pour une fois que cette indus­trie sert à quelque chose…).

C’est pré­ci­sé­ment le sens du carac­tère option­nel de la réforme : per­mettre à l’u­sage de favo­ri­ser l’une ou l’autre variante. Dès le début, il était pré­vu que cer­tains mots tendent à res­ter sous leur forme tra­di­tion­nelle (j’ai vu très peu de “ile”, “île” res­tant très clai­re­ment implan­té dans les esprits) et que d’autres soient adop­tés dans leur forme nouvelle.

Ne choisissons pas !

Ce qui m’a­mène natu­rel­le­ment à la conclu­sion de l’ar­ticle de Marianne :

Un jour, comme nous le fait remar­quer Michel Lus­sault, “il fau­dra bien sor­tir de cette ambi­guï­té et faire un choix”. 

Pitié, non.

Il y a déjà une foule de mots qui sont admis sous plu­sieurs ortho­graphes. Cela a tou­jours été le cas.

En tant que jour­na­liste cher­chant tou­jours à rac­cour­cir un “papier” trop long, j’é­cris “cuiller” plu­tôt que “cuillère”. Je com­pense avec la coquet­te­rie d’é­crire “clef” au lieu de “clé”. Quant à “vol­ca­no­logue” et “vul­ca­no­logue”, nous avions déjà le choix lorsque je sui­vais les aven­tures des Krafft. Dans tous ces cas, les variantes coexistent depuis des lustres dans tous les dic­tion­naires sans que cela choque qui­conque. Mieux : l’ex­cès d’al­cool vous offre deux ortho­graphes tra­di­tion­nelles (“saoul” et “soûl”) et une révi­sée en 1990 (“soul”).

Non, il ne fau­dra pas choi­sir. Pour­quoi devrait-on tran­cher entre “ognon” et “oignon”, alors qu’en plu­sieurs siècles nous n’a­vons tou­jours pas tran­ché entre “paie” et “paye” ?