Ma proposition : “Les cons”

Sté­phane le Foll, membre his­to­rique du Par­ti socia­liste, a récem­ment dif­fu­sé l’i­dée suivante :

Vous connais­sez mon atta­che­ment au Par­ti socia­liste : je n’en ai jamais été membre et je dis depuis long­temps qu’il est temps d’eu­tha­na­sier cette pauvre bête, mais il reste glo­ba­le­ment le par­ti dont je me sens le moins éloi­gné. (Oui, j’ex­hume de vieux billets. Je fais ce que je veux, c’est mon blog.)

Mais là, je m’insurge.

Je m’in­surge bien enten­du comme, il y a quelques années, je me suis insur­gé contre “les répu­bli­cains” pour dési­gner un par­ti de droite qui vou­lait faire oublier qu’il n’exis­tait que pour une his­toire de majo­ri­té présidentielle.

Je m’in­surge contre l’u­ti­li­sa­tion de l’ar­ticle défi­ni plu­riel. “Les socia­listes”, ça n’est pas “cer­tains socia­listes”, “quelques socia­listes” ou “des socia­listes”. “Les socia­listes”, ça veut dire que tous les socia­listes sont cen­sés être là. Ça nie le droit à ceux qui sont hors de ce par­ti de se qua­li­fier “socia­listes”.

Ça me gênait en tant que répu­bli­cain radi­ca­le­ment oppo­sé à l’U­nion pour un mou­ve­ment popu­laire, ça me gêne tout autant en tant que socia­liste non-adhé­rent au Par­ti socialiste.

Mais là, il y a un détail qui me fout encore plus hors de moi.

Les membres du par­ti bap­ti­sé Les Répu­bli­cains sont, glo­ba­le­ment, répu­bli­cains : ils sont atta­chés à l’i­dée que l’É­tat fran­çais doit être une répu­blique. Il y a bien quelques roya­listes dans le tas, mais en pro­por­tion assez faible. D’ailleurs, j’ai pu sans m’en sen­tir gêné le moins du monde signer la charte sur les valeurs répu­bli­caines de la droite et du centre, et de gauche, et d’ailleurs.

Je ne suis pas le mieux pla­cé pour décer­ner un bre­vet de socia­lisme, mais une chose me frappe : les membres du Par­ti socia­liste ne sont, glo­ba­le­ment, pas socialistes.

Je m’ex­plique.

Le socia­lisme est un cou­rant de pen­sée né des théo­ries mar­xistes. À la base, un socia­liste croyait à la lutte des classes et vou­lait réa­li­ser un monde dans lequel les humains seraient égaux, et pas seule­ment en droit. La défi­ni­tion de l’é­ga­li­té est très variable (de “on a tous la même chose” à “on a tous les mêmes chances”, voire “cha­cun a ce qu’il veut”), mais fon­da­men­ta­le­ment un socia­liste refuse une socié­té où il y a des riches et des pauvres, des exploi­teurs et des exploi­tés, des puis­sants et des faibles. Le socia­liste peut être com­mu­niste ou plus libé­ral, mais glo­ba­le­ment il est favo­rable à une pri­mau­té de la socié­té sur l’in­di­vi­du, il veut un État capable de pro­té­ger les faibles et il se méfie du mar­ché. Même lors­qu’il y est favo­rable, un socia­liste veut que le mar­ché reste sous contrôle pour évi­ter ses abus — et en par­ti­cu­lier l’ac­ca­pa­ra­tion des richesses par les plus puis­sants, qu’ils soient ou non consi­dé­rés comme une classe.

Le Par­ti socia­liste a été fon­dé sur les ruines de la Sec­tion fran­çaise de l’In­ter­na­tio­nale ouvrière. Dès sa fon­da­tion, il se dis­tin­guait radi­ca­le­ment du com­mu­nisme : le Par­ti socia­liste prô­nait un socia­lisme de mar­ché, où l’É­tat contrô­le­rait l’é­co­no­mie mais où celle-ci serait por­tée par la libre entre­prise. D’où l’ac­cep­tion fran­çaise cou­rante, le socia­lisme étant res­treint à la variante plu­tôt libé­rale du socia­lisme historique.

Aujourd’­hui, il suf­fit d’é­cou­ter les dis­cours des diri­geants du Par­ti socia­liste pour com­prendre que la libre entre­prise a très lar­ge­ment pris le pas sur le contrôle de l’é­co­no­mie et la pro­tec­tion des faibles. Ce par­ti a lar­ge­ment voté la loi n°2016–1088 (dite “loi Tra­vail”), qui don­nait plus de liber­tés aux entre­prises (pos­si­bi­li­tés de réduc­tion de la majo­ra­tion des heures sup­plé­men­taires et de rehausse du pla­fond horaire quo­ti­dien, élar­gis­se­ment des cas de licen­cie­ments et barème d’in­dem­ni­sa­tion pour licen­cie­ment abu­sif), et tout au long de la pré­si­dence Hol­lande, il a paru plus inquiet de la situa­tion des entre­prises que de celle des prolétaires.

Repre­nez la défi­ni­tion du socia­lisme, même conver­ti à l’é­co­no­mie de mar­ché (inutile de remon­ter à la théo­rie ini­tiale de la lutte des classes). La ligne éco­no­mique adop­tée par le Par­ti socia­liste n’est indé­nia­ble­ment pas socia­liste ; on peut donc pen­ser que nombre des membres du Par­ti socia­liste actuel ne sont pas socia­listes. D’ailleurs, si l’é­lec­tion pri­maire a été rem­por­tée par sur­prise par un can­di­dat prô­nant des idées de cette famille, il est notable que sa ligne a été désa­vouée par la direc­tion du par­ti au point que ceux qui sou­tiennent cet ancien can­di­dat sont désor­mais mena­cés d’ex­clu­sion, jus­te­ment par Sté­phane le Foll.

Si vous recher­chez des gens dont l’i­déo­lo­gie cor­res­pond à la défi­ni­tion moderne de “socia­liste”, vous les trou­ve­rez plu­tôt dans l’an­cienne aile gauche du Par­ti socia­liste, celle dont je par­lais au para­graphe pré­cé­dent. Vous en ver­rez éga­le­ment chez les éco­lo­gistes et les proches de La France insou­mise. Mais chez les diri­geants du Par­ti socia­liste, vous n’en trou­ve­rez pas des masses.

Renom­mer celui-ci “Les socia­listes”, comme le Foll le pro­pose, ça ne serait donc pas juste un pro­blème d’ar­ticle défi­ni. Ça serait avant tout une usur­pa­tion d’i­den­ti­té, comme si la France insou­mise se rebap­ti­sait “les souples de carac­tère” ou le Front natio­nal “les accueillants”.