La police en fait trop

A Rio, la police en fait trop avec « Rogé­rio 157 »

C’est ce que nous dit Le Monde.

Le pro­blème, semble-t-il est qu’un groupe de flics ayant enfin arrê­té un caïd bré­si­lien en a pro­fi­té pour prendre la pose.

Exemples de pho­tos prises par les gardes civils ayant arrê­té Rogé­rio Ave­li­no da Sil­va le 6 décembre 2017.

Dépla­cé ? Peut-être. C’est vrai que quand on parle droits de l’homme, il est inha­bi­tuel de voir un type pho­to­gra­phié comme un gibier cap­tu­ré par des chasseurs.

Mais c’est pas tous les jours qu’on choppe un caïd. Pour ceux qui l’ont fait, il y a de quoi se réjouir, et puis soyons hon­nête : la plu­part des gens sur ces pho­tos sont d’une géné­ra­tion qui se tire le por­trait pour tout évé­ne­ment un tant soit peu remar­quable. Le pré­ve­nu lui-même ne semble pas cho­qué ou sur­pris, et une des poli­cières a d’ailleurs lais­sé entendre qu’il avait lui-même pro­po­sé de faire des photos.

Évi­dem­ment, ça peut poser un pro­blème à la jus­tice : au moment même de son arres­ta­tion, ceux qui l’ar­rêtent font pas­ser un pré­su­mé tra­fi­quant, gang­ster et meur­trier pour une star sym­pa qui fait des sel­fies comme un chan­teur avec ses fans. Dif­fi­cile alors de le vendre au tri­bu­nal comme un Al Capone san­gui­naire. Mais bon, c’est le bou­lot du pro­cu­reur, et il y a sans doute des cas plus dif­fi­ciles à plaider.

Et repro­cher aux flics d’a­voir pris de telles pho­tos, c’est leur repro­cher de se réjouir d’un gros suc­cès atten­du depuis long­temps. Pour les ving­te­naires-tren­te­naires, de nos jours, le sel­fie fait par­tie des réjouis­sances, ni plus ni moins.

Bien sûr, on peut regret­ter que ça n’a­mé­liore pas mira­cu­leu­se­ment la situa­tion des Cario­cas, mais si on doit attendre que tout aille bien dans le monde pour se réjouir, on n’est pas près d’ou­vrir la pro­chaine bière.

Et puis, est-ce vrai­ment si nou­veau et scandaleux ?

Exemples de pho­tos prises par le bloc de recherche ayant abat­tu Pablo Esco­bar Gavi­ria le 2 décembre 1993.

Il y a vingt-quatre ans, le bloc de recherche de Medellín abat­tait un autre trafiquant/gangster/assassin bien connu. À l’é­poque, la pel­li­cule coû­tait cher, les appa­reils pho­to n’é­taient pas si cou­rants, le mot sel­fie n’é­tait même pas inven­té et l’au­to-por­trait ne fai­sait clai­re­ment pas par­tie de la vie quo­ti­dienne des quidams.

Et puis, autre petite dif­fé­rence notable, il ne s’a­gis­sait pas d’un tra­fi­quant fraî­che­ment arrê­té et presque sou­riant pour la pho­to, mais d’un cadavre fraî­che­ment plom­bé et dégou­li­nant de sang.

Pour­tant, je n’ai pas sou­ve­nir qu’à l’é­poque, ces pho­tos aient cau­sé une polé­mique par­ti­cu­lière. On y voit même, dans une che­mise rouge par­ti­cu­liè­re­ment dis­crète, Steve Mur­phy, agent de la DEA des États-Unis, pays qui a pour­tant connu pas mal de polé­miques liées à des pho­tos de cadavres ou de pri­son­niers ; mais même ce cli­ché-ci a cir­cu­lé et se trouve aisé­ment en ligne, sans men­tion d’un quel­conque scan­dale lors de sa publication.

Autres temps, autres mœurs, me dira-t-on. Et cer­tai­ne­ment, les auteurs de pho­tos de chas­seurs, sou­riant armes à la main autour du cadavre d’un tra­fi­quant, pas­se­raient un mau­vais quart d’heure de nos jours.

Mais qu’on parle de sanc­tion­ner des poli­ciers parce qu’ils ont se sont réjouis d’a­voir réus­si une arres­ta­tion de pre­mier plan, sans effu­sion de sang et sans par­ti­cu­liè­re­ment cher­cher à humi­lier leur pré­ve­nu, ça me fait quand même bizarre aussi.